Odile Sankara,la petite soeur de Thomas, quelques heures avant de monter sur les planches
Dans le hall du théatre des Amandiers à Nanterre
Lors de la réception officielle, le bouillonnant capitaine se lance dans une diatribe enflammée pour dénoncer pêle-mêle le néocolonialisme, les rapports Nord-Sud, l`aide - `` un calvaire et un supplice pour les peuples » - ou encore l`attitude de la France, si prompte à défendre les droits de l`homme mais qui n`hésite pas à accueillir des responsables sud-africains qui la `` tachent de leurs mains et de leurs pieds couverts de sang ». L`audace peu protocolaire fait mouche. Froissé d`être ainsi placé face à ses propres contradictions, le chef de l`État français réplique. S`engage un échange aigre-doux où la causticité du vieux lion répond à l`impertinence et à l`ironie du jeune loup.
L`originalité de la pièce tranche avec la sobriété du décor, constitué de trois chaises, d`un tapis et d`une calebasse. Créée en 2002 et reprise depuis le 18 janvier au théà¢tre Nanterre-Amandiers, dans la proche banlieue parisienne, Mitterrand et Sankara ne se contente pas de restituer les interventions désormais fameuses des deux tribuns. Elle repose d`abord sur la réécriture de cette rencontre sous la plume de Jacques Jouet, mais aussi sur la présence d`un troisième intervenant : le `` Théà¢tre simple ». Personnage théorique, modérateur du débat et allégorie de l`art scénique, ce rà´le tenu par l`actrice Odile Sankara, sœ“ur cadette du défunt président burkinabè, dicte la règle de ce débat ritualisé. Celle-ci est simple.
Sankara et Mitterand se rencontre
Grain de maïs
Les deux protagonistes ne prennent la parole que s`ils parviennent à cracher un grain de maïs dans l`eau contenue dans la calebasse. Les représentations sont donc toutes différentes les unes des autres suivant l`habileté ou non des acteurs. à€ l`improvisation des discours répond celle du jeu. `` On ne peut pas savoir a priori si c`est Sankara, Mitterrand ou le Théà¢tre simple qui aura le dernier mot », explique Jean-Louis Martinelli. Une mise en scène originale, qui, au final, permet de dévoiler les différentes facettes de l`art oratoire qu`est la politique, présentée ici sous les traits de deux grandes figures historiques. dd
Odile Sankara à la sortie de la pièce
les amies et connaissances en attente
Moussa Sanou, celui qui joue le rà´le du capitaine Sankara
Thomas Sankara , un rêve brisé
On l'a comparé au "Che" (Guevara). Plus exactement, il s'en sentait si proche qu'il avait pensé commémorer, début octobre 1987, à Ouagadougou, le vingtième anniversaire de sa mort. Il ignorait alors, bien sà»r, qu'il n'avait plus que quelques jours à vivre et qu'il serait fauché, lui aussi à 38 ans, avant d'avoir pu dire son mot ou décevoir. Comme Guevara, il est mort les armes à la main, mais les balles qui l'ont transpercé, lui, étaient celles de ses camarades. A nous il rappelle plutà´t frantz Fanon, et surtout Patrice lumumba. il aura été pour l'Afrique de la fin des années quatre-vingt ce que Lumumba a été pour celle des années soixante: un révolutionnaire sincère et brouillon, trop jeune et trop pur pour trouver sa place en politique, y durer. un jour ou l'autre, les crocodiles devaient l'avaler.
Il était d'ailleurs de bon ton, au sein de l'establishment politique africain, d'affecter de ne pas le prendre au sérieux tout en le surveillant du coin de l'oeil. Il agaçait les chefs d'Etat, et pas seulement ceux de l'ancienne génération. il dérangeait les notables et donnait mauvaise conscience à ceux qui en a avaient gardé une.
Les jeunes, en revanche, les " sans voix ", avaient fait de Thomas Sankara leur idole.Ces désespérés avaient mis en lui leur espoir. Ils avaient vu surgir un homme qui sentait comme eux, rejetait avac eux ce qu'ils abhorrent: le costume coà»teux, la villa-palais,les grosses voitures et ce qu'ils impliquent, la corruption. Au fond d'eux-mêmes, ils savaient bien que c'était un reêve qui se briserait, mais la fraîcheur de cet homme, son originalité et son cà´té iconoclaste les ravissaient. les voilà pleurant Sankara et enterrant, avec lui, l'espoir qu'il avait fait naître.
En dépit du scepticisme que distille la profession du journalisme, nous nous étions pris de sympathie pour Thomas Sankara et, sans illusions sur sa durée, nous espérions follement qu'il démentirait tous les pronostics sur sa fragilité. Nous ne pensions pas qu'il était l'étincelle qui allumerait le feu purificateur, mais souhaitions que son exemple dure, que son témoignage porte. A vrai dire, nous voulions que, face aux démons du pouvoir, il tienne bon, ne succombe pas. Cela, il l'a fait.
Son pays était trop pauvre et trop petit pour que le révolution qu'il y avait lancée puisse être prise au sérieux. Il a beaucoup tà¢tonné et il a consacré trop de temps à la politique étrangère. mais le pouvoir est une école et Sankara apprenait vite. Dommage qu'on lui ait laissé si peu de temps pour donner sa mesure.