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jeudi 28 mars 2013

Paul Ricoeur, un chemin parsemé d'espérance !

En novembre 1969, le Collège de France préfère Michel Foucault à  Paul Ricœ“ur. Celui-ci est alors le doyen de la faculté de lettres et sciences humaines de l`université de Nanterre, dont il était l`un des fondateurs, en 1964, et où il avait appelé Emmanuel Levinas, alors peu connu. Il avait assisté là  à  l`éclosion de Mai 68. Regardant avec sympathie la révolte étudiante, il s`était fait l`avocat, avec Alain Touraine et Henri Lefebvre, de Daniel Cohn-Bendit, devant la commission disciplinaire qui devait décider de son renvoi. Mais, en tant que recteur, il est quotidiennement insulté et rudoyé par les ``enragés». Le 9 mars 1970, il démissionne de sa charge (mais demeure professeur) et passe le flambeau à  René Rémond.

Paul Ricoeur, un chemin parsemé d'espérance

Une double déception pour Paul Ricœ“ur, qui n`est sans doute pas étrangère à  son ``exil». De foi protestante, politiquement situé à  gauche mais non-marxiste, le philosophe sera absent de tous les débats ``révolutionnaires» des années 70. Sa carrière se déroulera, pour une large part, à  Louvain, à  Genève, à  Montréal, et, surtout, aux Etats-Unis : dans un collège quaker, puis à  New York, enfin à  la Divinity School de Chicago, où il succède à  Paul Tillich, et, jusqu`en 1992, au département de philosophie de l`université de Chicago.

Fruits. Paul Ricœ“ur aurait 100 ans . Rarement le centenaire de la naissance d`un penseur aura suscité, dans le monde entier, autant d`événements célébratifs, de publications, de séminaires, de colloques (1). Et ce n`est que justice ou, plutà´t, ``juste retour des choses». Non parce que la myriade d`initiatives ``mesurerait» la notoriété internationale de Ricœ“ur ou le nombre d`études qui sont consacrées à  sa pensée. Mais parce qu`ayant lui-même exploré quasiment tous les domaines du connaissable, les philosophies de l`existence, la phénoménologie, l`herméneutique, la psychanalyse, la linguistique, l`exégèse biblique, la politique, la poétique, la théorie littéraire, l`épistémologie, la philosophie analytique, les théories de la justice ou l`histoire, n`ayant esquivé aucune confrontation avec les grandes pensées du siècle, il était ``normal» que des champs ensemencés lui soient rapportés les fruits, que les pensées interrogées par son œ“uvre reviennent en écho interroger l`œ“uvre et en attestent encore la ``vivacité» ou le pouvoir heuristique.

Les ouvrages qui paraissent à  l`occasion du centenaire en sont autant d`exemples. Philosophe de l`écoute et du dialogue, lecteur par excellence, qui s`est nourri des plus grandes œ“uvres et les a nourries - Aristote, Jaspers et Husserl, Spinoza et Kierkegaard, Hegel, Freud, Marx et Nietzsche, Gadamer, Austin, Habermas, Arendt, Heidegger, Lévi-Strauss, Patočka, Levinas, Rawls… - Paul Ricœ“ur s`est durablement confronté au structuralisme : aussi Johann Michel, dans Ricœ“ur et ses contemporains, ajoute-t-il comme une ``extension», qui laisse voir comment s`est établie la discussion critique avec les ``poststructuralismes» français, incarnés, avec toutes les variantes possibles, par Deleuze, Derrida, Foucault, Bourdieu, Castoriadis. De même, dans Paul Ricœ“ur : penser la mémoire, historiens et philosophes (Olivier Abel, François Azouvi, François Hartog, Henry Rousso, Jean-Marie Schaeffer, Myriam Revault d`Allonnes…), à  partir de problématiques tout à  fait actuelles et des controverses sur le ``devoir de mémoire», ``revisitent» les thèses que Ricœ“ur exposait dans la Mémoire, l`Histoire, l`Oubli (2000).

Enfin, dans Souffrance et douleur, des spécialistes d`éthique médicale (Lazare Benaroyo), des sociologues (Natalie Rigaux, Nathalie Zaccaï-Reyners), des médecins (Jean-Christophe Mino), des philosophes (Frédéric Worms, Claire Marin), réunis par un même intérêt pour la question du soin ou care, aiguisent leur réflexion en revenant à  un texte extraordinaire (1992) dans lequel Ricœ“ur, partant du présupposé que ``la clinique et la phénoménologie se recroisent dans la sémiologie, dans l`intelligence des signes du souffrir», tente ``d`éclairer la compréhension que nous avons de l`humain, en tant qu`être capable de subir, d`endurer la souffrance».

Paul Ricœ“ur est né à  Valence, dans la Drà´me, en 1913. Très tà´t orphelin de père et de mère, il est élevé comme pupille de la Nation. Marqué, à  14 ans, par l`injuste condamnation à  mort, aux Etats-Unis, des anarchistes Sacco et Vanzetti, il milite, étudiant, dans des mouvements pacifistes protestants, de teinte socialiste. Il fait ses études à  Rennes et, l`agrégation obtenue (1935), enseigne la philosophie aux lycées de Saint-Brieuc, Colmar et Lorient. Mobilisé comme officier en 1939, il est un temps enfermé dans le camp de Gross-Born, en Pologne (où il a comme compagnon d`infortune le théoricien de l`art Mikel Dufrenne, avec lequel, en 1947, il signera son premier livre, Karl Jaspers et la philosophie de l`existence), et reste quatre ans prisonnier en Allemagne.

``Foyer». A son retour, Ricœ“ur donne des cours au collège cévenol du Chambon-sur-Lignon, où des quakers américains étaient venus aider le pasteur et les enseignants qui avaient caché des enfants juifs. Ami d`Emmanuel Mounier, il fréquente la communauté intellectuelle formée autour d`Esprit, revue et famille de pensée auxquelles il restera toujours fidèle. Il est ensuite attaché de recherches au CNRS, jusqu`en 1948, année où il prend la succession de Jean Hyppolite à  la faculté de lettres de Strasbourg. En 1956, il se voit attribuer la chaire de philosophie générale à  la Sorbonne, qu`il abandonne pour participer à  la création de la nouvelle université de Nanterre.

Lorsque Ricœ“ur part aux Etats-Unis, après l`aventure nanterroise et la non-obtention de la chaire du Collège de France, il est essentiellement (re)connu par sa traduction des Idées directrices pour une phénoménologie d`Edmund Husserl, ses ouvrages d`ascendance existentialiste consacrés à  Jaspers et à  Gabriel Marcel, et sa thèse, le Volontaire et l`Involontaire, premier volume d`une Philosophie de la volonté dont la seconde partie (l`Homme faillible et la Symbolique du mal) sera publiée dix ans après sous le titre générique de Finitude et culpabilité, et qui constitue le ``foyer» d`où se déploiera toute sa pensée. Le philosophe y élabore une phénoménologie existentielle de la volonté, à  travers l`analyse des figures les plus simples de l`expérience vécue, comme l`hésitation, le choix, l`émotion, l`effort ou l`habitude, et met en relief le mystère de l`existence incarnée, relevant d`une ``pathétique de la misère» dans laquelle la notion de faillibilité est utilisée pour inscrire la possibilité du mal moral, et la vulnérabilité, dans l`être même de l`homme.

La gloire de ``grand penseur», c`est outre-Atlantique qu`il la connaît d`abord. En France, elle sera plus tardive : elle viendra avec la publication (1983-1985) des trois tomes de Temps et récit - reçus comme la ``suite critique» de Etre et Temps, de Heidegger - et celle, en 1990, de Soi-même comme un autre. Sans doute pour déambuler à  travers une œ“uvre ``riche et complexe» a-t-on besoin d`un guide : le Paul Ricœ“ur de Jean Grondin - lequel rappelle opportunément qu`à  Ricœ“ur rien de ce qui est humain n`a été étranger, rien en tout cas ``de ce qui a été dit à  propos de l`homme, par les mythes, les religions, la littérature, l`histoire, les sciences humaines comme les sciences exactes» - en est un excellent, clair et précis, qui dessine le passage d`une ``philosophie des puissances et des impuissances de la volonté», à  l`herméneutique et au ``conflit des interprétations» puis à  l```herméneutique du soi».

Ricœ“ur est en effet parti de l`existentialisme chrétien et de la ``philosophie réflexive», où la compréhension de soi exige que le sujet saisisse le ``principe unificateur» de ses opérations de connaissance, d`estimation et de volition. Il était normal, dès lors, qu`il se tournà¢t vers la phénoménologie, qui du ``retour sur soi» étudie les conditions de possibilité mais détruit aussi le ``rêve» que le fondement puisse en être ``la transparence du sujet à  lui-même». Puis, entre autres dans le Conflit des interprétations, aujourd`hui réédité en poche, qu`il se confrontà¢t à  Freud, afin d`examiner le contrecoup que la psychanalyse a eu sur la philosophie, en déconstruisant les fausses évidences du cogito et en proposant une nouvelle vision de l`homme et du sujet, dans laquelle la conscience n`est plus une donnée (être conscient) mais une tà¢che (devenir conscient). Et, enfin, qu`il s`ouvrît à  l`herméneutique, dans la mesure où il n`est pas de compréhension de soi et d`autrui qui ``ne soit médiatisée par des signes, des symboles et des textes» (sa formule, ``le symbole donne à  penser», restera célèbre, comme celle de ``maîtres du soupçon» par laquelle il désigne Marx, Nietzsche et Freud), et donc n`exige une science de l`interprétation : d`où le ``dialogue critique» avec Dilthey, Schleiermacher, Gadamer, mais aussi Heidegger et la philosophie analytique anglo-saxonne.

En fait, les problèmes traités par Ricœ“ur se déduisent tous, comme il l`a indiqué lui-même, des quatre usages majeurs que l`on peut faire de ``je peux» : je peux parler (philosophie du langage), je peux agir (philosophie de l`action), je peux raconter (théorie narrative), je peux me tenir responsable de mes actions, me les laisser imputer comme à  leur véritable auteur (philosophie morale). Aux questions du langage, de l`action, du récit, du temps, de l`éthique, de la justice, le philosophe, dans ses derniers ouvrages, va ajouter celle de l`oubli et du pardon, ou, plus généralement (l`analyse portant aussi bien sur la mnémotechnique que sur les neurosciences et le travail de l`historien), celle du rapport au passé, conditionné par les diverses modalités, us et abus, dont s`effectue cette présentification de l`absence en quoi consiste la mémoire. Ricœ“ur, notent François Dosse et Catherine Goldenstein, ``rappelle la fonction de l`agir, de la dette éthique de l`histoire vis-à -vis du passé», et ``défend avec la même fermeté le devoir, la dette des générations présentes vis-à -vis du passé, source éthique de la responsabilité».

Fenêtres. Ricœ“ur, dont l`adage pourrait être ``expliquer plus pour comprendre mieux», ne sera jamais devenu un ``maître-penseur», si l`expression renvoie à  la ``possession» d`une pensée tellement sà»re d`elle-même qu`elle ne demande qu`à  être reprise telle quelle et répétée. On le dira plutà´t ``semeur», ou ``hà´te», en se souvenant que l`idéal du ``philosopher en commun» dont il rêvait est celui d`une pensée qui offre l`hospitalité à  la pensée des autres, aux pensées autres, et leur donne tout ce qu`elle a. Le maître s`en est allé il y a huit ans, mais dans la ``maison Ricœ“ur», tout reste allumé et les fenêtres sont ouvertes. Les discussions s`y poursuivent, comme pour prolonger à  l`infini celle que le philosophe n`a cessé de poser : comment l`homme, un homme au ``cogito brisé», un homme fragile, obéré par le poids de l`échec ou de sa finitude, peut-il poursuivre sa quête du sens, de soi, des autres et du monde, ne pas renoncer à  être juste, et maintenir son effort ou son désir d`exister ?

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