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mardi 26 juin 2018

RDC: Crimes contre l'humanité au Kasaï, les Fardc "Bana Mura" accusés par l'ONU !

Les déplacés du Kasaï

La République démocratique du Congo est-elle un "abattoir d'êtres humains" ? L'étau se resserre toujours un peu plus sur le régime d'imposture, d'occupation et de prédation qui sévit en RDC en toute impunité. Des experts de l`ONU ayant enquêté sur les atrocités commises depuis 2016 contre des populations civiles dans la région du Kasaï au Grand Congo ont accusé mardi les forces de sécurité et les milices locales de crimes contre l`humanité et crimes de guerre. `` Certaines des exactions commises par les forces de défense et de sécurité, les milices Bana Mura (soutenues par l`armée, ndlr) et la milice Kamuina Nsapu (rébellion, ndlr) constituent des crimes contre l`humanité ou des crimes de guerre, ainsi que des violations et des atteintes aux droits de l`homme », a indiqué le groupe d`enquêteurs de l`ONU dans les conclusions de leur rapport que Réveil FM International met à  la disposition de tous.

La situation au Kasaï

Note du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l`homme

Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l`homme a l`honneur de transmettre au Conseil des droits de l`homme le rapport de l`Equipe d`experts internationaux sur la situation au Kasaï, conformément à  la résolution 35/33 du Conseil des droits de l`homme.

Rapport de l`Equipe d`experts internationaux sur la situation au Kasaï

Résumé

L`Equipe d`experts internationaux est choquée par l`ampleur des violences qui ont fait des milliers de morts ainsi que la situation désastreuse des droits de l`homme qui perdure dans la région du Kasaï depuis 2016. Le présent rapport ne reflète qu`une petite partie des actes et des crimes commis. L`Equipe d`experts internationaux est préoccupée du faible niveau d`attention accordé à  cette tragédie et de l`insuffisance des moyens pour y mettre fin.

L`Equipe d`experts internationaux confirme que les forces de défense et de sécurité, la milice Kamuina Nsapu et les milices Bana Mura ont commis de multiples atrocités, y compris de nombreux cas de violences sexuelles et des exactions contre les enfants, pouvant être qualifiées de crimes contre l`humanité ou de crimes de guerre.

L`Equipe d`experts internationaux est alarmée par la situation humanitaire, caractérisée par le déplacement d`environ 1,4 millions de personnes qui demeurent dans une situation très précaire.

Un très sérieux problème d`impunité subsiste au regard de l`ampleur et de la gravité des crimes commis. Un travail rigoureux d`enquête reste à  accomplir au plan judiciaire pour que les auteurs des crimes soient poursuivis et jugés et que les victimes soient effectivement rétablies dans leurs droits.

Table des matières

Page

I. Introduction 4

II. Mandat 4

III. Méthodologie et standard de preuve 4

IV. Droit applicable 5

V. Contexte 5

VI. Acteurs de la crise 6

A. Les forces de défense et de sécurité 6

B. La milice Kamuina Nsapu 7

C. Les milices Bana Mura 8

VII. Etablissement des faits et circonstances 8

A. Avril-aoà»t 2016 8

B. Septembre-décembre 2016 9

C. Janvier-juillet 2017 10

VIII. Conséquences de la crise au Kasaï et situation actuelle 15

IX. Qualification juridique 16

A. Crimes contre l`humanité 16

B. Crimes de guerre 17

C. Violations des droits de l`homme 17

X. Conclusions et recommandations 17

A. Conclusions 17

B. Recommandations 18

Annexe

Carte du Kasaï 20

I. Introduction

1. Suite à  la vague de violences qui a déferlé au Kasaï depuis 2016, le Conseil des droits de l`homme a décidé à  l`unanimité, le 23 juin 2017, de créer, par la résolution 35/33, l`Equipe d`experts internationaux sur la situation au Kasaï (EEI) pour une période d`un an. 2. Le 26 juillet 2017, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l`homme a nommé Bacre Waly Ndiaye (Sénégal) (président), Fatimata M`Baye (Mauritanie) et Luc Cà´té (Canada) comme Experts internationaux. Ils ont été assistés par un secrétariat, basé à  Kananga, province du Kasaï Central, et établi par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l`homme (HCDH).

3. L`EEI a délivré une présentation orale au Conseil des droits de l`homme en mars 2018.

4. L`EEI remercie la République démocratique du Congo (RDC) pour sa coopération et pour lui avoir facilité l`accès au pays. Elle étend ses remerciements à  la Mission de l`Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) pour son soutien ainsi que les organisations onusiennes, notamment le HCDH et ONU Femmes, ainsi que les organisations gouvernementales et non-gouvernementales qui lui ont apporté leur coopération. Elle remercie surtout les victimes et témoins qui ont accepté de communiquer leur expérience.

II. Mandat

5. Aux termes du paragraphe 10 de la résolution 35/33, l`EEI a mandat `` de réunir et de conserver des informations, d`établir les faits et les circonstances […] concernant des violations présumées des droits de l`homme et des violations du droit international humanitaire dans les régions du Kasaï, de communiquer aux autorités judiciaires de la [RDC] les conclusions de cette enquête afin d`établir la vérité et de faire en sorte que les auteurs des crimes odieux soient tous traduits devant les autorités judiciaires de la [RDC]».

6. L`EEI est d`avis que son mandat consiste à  établir les faits et circonstances des violations des droits de l`homme et du droit international humanitaire commises depuis 2016 et jusqu`à  ce jour dans les provinces du Kasaï, Kasaï Central, Kasaï Oriental, Lomami, et Sankuru1 qui sont susceptibles de constituer des crimes en droit international pénal. Eu égard au large mandat qui lui a été confié et au temps imparti, l`EEI a enquêté en priorité sur les actes de violences les plus graves - tels que les atteintes au droit à  la vie et à  l`intégrité physique, notamment les violences sexuelles et basées sur le genre, ou encore les violences faites aux enfants.

7. L`EEI considère également que son mandat est d`examiner le rà´le de toutes les parties impliquées dans la vague de violences qui touche le Kasaï depuis 2016, notamment les forces de défense et de sécurité, la milice Kamuina Nsapu et les milices Bana Mura.

III. Méthodologie et standard de preuve

8. L`EEI a récolté des informations auprès de nombreuses sources sur la vague de violences. L`EEI a établi une méthodologie de sélection se concentrant sur les incidents les plus graves et emblématiques. L`EEI a conduit des entretiens avec 524 victimes, témoins, auteurs présumés et d`autres sources. Des documents, photographies et vidéos appuyant les témoignages ont été collectés.

9. L`EEI a rencontré certains obstacles à  la conduite efficace de ses enquêtes. La grande superficie du territoire à  couvrir, couplée avec les difficultés d`accès aux témoins en raison de l`état des routes et des questions de sécurité, ont été des défis quotidiens. Les retards rencontrés dans le déploiement de l`EEI sur le terrain ont également posé des défis.

10. L`EEI a adopté le même niveau de preuve que la majorité des commissions d`enquête internationales et autres missions d`établissement des faits, à  savoir des `` motifs raisonnables de croire », impliquant l`obtention d`informations concordantes auprès d`au moins deux sources. 11. L`EEI a intégré une perspective genre dans l`ensemble de son travail et a porté une attention particulière aux allégations de violences sexuelles et basées sur le genre. Par ailleurs, l`EEI a mis en place une méthodologie d`enquête adaptée aux besoins spécifiques des mineurs.

12. Malgré la mise en place de procédures conformes aux meilleures pratiques en matière de protection des témoins et de respect de la confidentialité, un certain nombre de témoins ont exprimé des craintes en cas de partage de leurs témoignages lorsqu`ils contiennent des actes de violence commis par les forces de défense et de sécurité ou leurs propres communautés.

IV. Droit applicable

13. En matière de droits de l`homme, la RDC est notamment partie à  : la Convention internationale sur l`élimination de toutes les formes de discrimination raciale ; au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Premier protocole facultatif s`y rapportant ; au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ; à  la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à  l'égard des femmes ; à  la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et le Protocole facultatif s`y rapportant ; et à  la Convention relative aux droits de l`enfant et ses deux premiers Protocoles facultatifs. Elle est également partie à  la Charte africaine des droits de l`homme et des peuples et à  son Protocole relatif aux droits des femmes, ainsi qu`au Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la Région des Grands Lacs et ses divers Protocoles.

14. La RDC est partie aux quatre Conventions de Genève de 1949 et à  ses deux Protocoles additionnels de 1977, ainsi qu`au Statut de Rome de la Cour pénale internationale dont elle a récemment incorporé les définitions des crimes internationaux dans son code pénal.

15. L`EEI a aussi examiné le droit national congolais, en particulier les garanties en matière de droits de l`homme comprises dans la Constitution.

V. Contexte

16. Le Kasaï est constitué depuis juillet 2015 de cinq provinces : Kasaï, Kasaï Central, Kasaï Oriental, Lomami, et Sankuru2. Le Kasaï est l`une des régions les moins développées de la RDC. Malgré l`existence de riches ressources naturelles, l`économie s`est effondrée depuis plusieurs décennies. Une situation d'extrême pauvreté et de sous-développement chronique perdure en raison du très faible investissement de l`Etat dans les services de base de la région.

17. Le Kasaï, majoritairement peuplé de Luba, est traditionnellement un fief du principal parti d`opposition, l`Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), expliquant en partie la marginalisation de la région au plan national. La vague de violences au Kasaï depuis 2016 s`inscrit dans un contexte national de tensions autour des élections présidentielles. En décembre 2016, la majorité présidentielle et l`opposition politique ont signé un accord prévoyant la tenue d`élections présidentielles avant fin 2017 et interdisant au Président Kabila de se présenter pour un troisième mandat. Pourtant, au cours de l`année 2017, il est devenu clair que les élections n`auraient pas lieu à  la fin de l`année comme le prévoyait l`accord. Des manifestations relatives au respect de l`accord ont été interdites ou réprimées dans plusieurs villes. Le Kasaï n`a pas été particulièrement touché par ces manifestations. Bien qu`il soit difficile d`exclure que le contexte politique national ait pu influencer la réaction des autorités dans la gestion de la crise au Kasaï, peu d`éléments de preuve permettent de conclure qu`il existe une connexion directe entre la vague de violences au Kasaï et le processus électoral.

18. A l`approche de l`indépendance, des violences ont éclaté au sein de la population Luba. Aujourd`hui, cette population, qui partage une langue commune, le Tshiluba, est relativement unie. Par contre, les tensions entre les populations Luba et les populations Tshokwe et Pende, présentes dans la partie sud et est de la province du Kasaï, ont repris de l`importance avec la division de l`ancienne province du Kasaï Occidental en deux nouvelles provinces en 2015. Si le Kasaï Central reste dominé par la population Luba, celle-ci a perdu de l`influence au profit des populations Tshokwe et Pende dans la province du Kasaï. De plus, la crise au Kasaï ne peut être isolée de conflits locaux préexistants de chefferies coutumières et de partage des ressources foncières et minières.

19. Le pouvoir coutumier, lié étroitement à  l`identité ethnique, est une partie importante du système du pouvoir local. Les chefs coutumiers jouent un rà´le important dans l`administration publique, la gestion des villages, l`accès à  la terre, et la justice locale ; ils exercent aussi des fonctions spirituelles importantes. Les chefs coutumiers sont nommés selon la tradition de la chefferie, puis reconnus par les autorités publiques, dont ils reçoivent un salaire. Bien que le rà´le du chef coutumier soit en principe apolitique, les autorités étatiques exercent régulièrement des pressions à  leur égard pour les inciter à  s`aligner politiquement sur les autorités provinciales et nationales allant jusqu`à  refuser de reconnaitre le statut de chef coutumier à  des chefs pourtant nommés selon la tradition.

20. La croyance en la sorcellerie et les pouvoirs surnaturels reste largement répandue dans la société, y compris au sein des forces de défense et de sécurité. Les fétiches ont une place prépondérante. Un grand nombre de règles coutumières vient régir la vie de la communauté et leur transgression peut entrainer de graves conséquences.

VI. Acteurs de la crise

A. Les forces de défense et de sécurité

21. La RDC n`a toujours pas réussi à  former une armée professionnelle et bien organisée. Les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) continuent de commettre fréquemment de graves violations des droits de l`homme contre la population civile et de vivre à  ses dépens.

22. Lorsque la crise a débuté au Kasaï, les militaires du 2101ème régiment étaient stationnés à  Kananga. Ils dépendaient de la 21ème Région militaire basée à  Mbuji Mayi au Kasaï Oriental. Ce régiment issu de la 5ème brigade intégrée était composé d`un mélange d`anciens miliciens réintégrés et de militaires de l`armée nationale. La présence au sein de ce régiment de militaires originaires de l`est du pays et parlant kinyarwanda était vivement contestée par le chef Kamuina Nsapu, qui les accusait d`être des étrangers. Certains commandants auraient été impliqués dans de graves violations des droits de l`homme ailleurs en RDC.

23. La réaction initiale des FARDC face à  la milice Kamuina Nsapu a été brutale. Avec l`arrivée des renforts fin 2016, il y avait 7000 militaires au Kasaï qui n`ont pas réussi à  stopper l`expansion rapide de la milice. Le 9 mars 2017, le gouvernement a créé le Secteur opérationnel du Grand Kasaï, avec un commandement basé à  Kananga, dans le but d`affronter les miliciens Kamuina Nsapu que le gouvernement qualifiait de terroristes. Sur le territoire de Kamonia, province du Kasaï, les FARDC ont conduit des opérations avec le soutien des milices Bana Mura. Vers la fin de l`année 2017, les autorités ont commencé à  réduire le nombre de troupes au Kasaï.

24. La Police nationale congolaise (PNC) était très largement sous équipée et sous entraînée pour répondre aux violences au Kasaï, malgré des renforts d`une unité spécialisée dans le maintien de l`ordre.

B. La milice Kamuina Nsapu

25. La milice Kamuina Nsapu, majoritairement Luba, est née d`un conflit de pouvoir coutumier. Après la mort de l`ancien chef Kamuina Nsapu, Ntuma Mupala, chef de la chefferie Bajila Kasanga, sur le territoire de Dibaya, province du Kasaï Central, Jean-Prince Mpandi est nommé comme successeur. La chefferie Bajila Kasanga appartient au royaume fédéral des Bashilange dont les chefferies se sont étendues depuis l`époque coloniale jusqu`en Angola voisin. Le chef Kamuina Nsapu est le chef militaire du royaume Bashilange.

26. La demande de reconnaissance de Jean-Prince Mpandi comme chef coutumier Kamuina Nsapu a été rejetée par le Ministre de l`Intérieur, Evariste Boshab, pour des raisons politiques. Les autorités ont essayé d`appuyer Ntenda Tshiambi, chef coutumier du village Ntenda, rival de Jean-Prince Mpandi et politiquement proche du Gouverneur du Kasaï Central de l`époque, Alex Kande.

27. Le 3 avril 2016, une perquisition pour rechercher des armes a été conduite au domicile de Jean-Prince Mpandi pendant son absence. Cet incident aurait accentué son sentiment d`animosité vis-à -vis des autorités et de son rival le chef Ntenda Tshiambi, suspecté d`être à  l`origine de cette perquisition.

28. De retour d`Afrique du Sud, Jean-Prince Mpandi a accusé les autorités d`avoir profané ses fétiches et tenté d`agresser sexuellement sa femme. Dès lors, il a annoncé la création d`un mouvement `` politico-coutumier » reposant sur les pratiques et la légitimité du pouvoir coutumier et le système des croyances ancestrales. Son mouvement s`opposait aux autorités étatiques et aux `` étrangers » responsables, selon lui, du harcèlement de la population et du manque d`opportunités économiques.

29. Le chef coutumier Kamuina Nsapu a recruté dans son village et dans le territoire de Dibaya des miliciens, en majorité des enfants, et érigé des barrières à  partir de juin 2016 pour contrà´ler la circulation des agents de l`Etat. La première attaque de la milice Kamuina Nsapu a été dirigée contre le village du chef rival Ntenda Tshiambi. Par la suite, elle a attaqué les symboles de l`Etat sur le territoire de Dibaya. Les efforts des autorités politiques pour trouver une solution négociée avec le chef coutumier Kamuina Nsapu ayant été inefficaces, celles-ci ont rapidement choisi le recours à  la force.

30. Le 12 aoà»t 2016, le chef Kamuina Nsapu est tué dans l`attaque de son village par les forces de défense et de sécurité et son cadavre transporté à  Kananga, provoquant l`indignation des Bashilange. L`appartenance de la famille Kamuina Nsapu au royaume des Bashilange a favorisé l`expansion rapide de la milice qui s`est propagée grà¢ce à  un système de recrutement bien organisé et la mise en place de tshiotas (feux sacrés). Des envoyés du défunt chef Kamuina Nsapu, parfois appelés `` apà´tres », sont passés de village en village sur une zone géographique de plus en plus étendue pour y installer leurs tshiotas, décapitant les chefs de village qui sopposaient au mouvement. Les tshiotas ont ainsi été installés dans les cinq provinces du Kasaï. Les villageois ont été appelés à  se rallier volontairement au mouvement ; ceux qui refusaient ont été souvent décapités.

31. Au tshiota, en présence d`un `` apà´tre » ou d`un chef de haut rang, souvent appelé `` président », les recrues, y compris de jeunes enfants, ont dà» suivre le rite du baptême, qui impliquait de boire une mixture alcoolisée et de suivre d`autres pratiques rituelles. Les recrues faisaient alors partie de la milice où les croyances ancestrales et les rites jouaient un rà´le extrêmement important. Pour maintenir leur invincibilité face aux armes à  feu, ces croyances exigeaient l`adhésion à  des règles de vie strictes. Le tshiota était aussi le lieu privilégié des décapitations souvent pratiquées par des enfants, et d`actes de cannibalisme. On y ramenait des têtes et d`autres parties du corps des victimes d`attaques ainsi que leur sang.

32. L`organisation des unités et la planification des opérations offensives se décidaient aussi au tshiota. Avant les affrontements, les miliciens participaient à  des rituels impliquant notamment l`ingurgitation d`une mixture alcoolisée. Typiquement, lors des combats, les miliciens Kamuina Nsapu s`organisaient avec, en première ligne, une ou plusieurs jeunes filles appelées `` ya mama ». Elles avaient, selon leurs croyances, le pouvoir d`intercepter les projectiles d`armes à  feu dans leurs jupes. Juste derrière suivaient des garçons munis d`armes blanches et de bà¢tons. Ces derniers avaient, selon la croyance, le pouvoir magique de se transformer en armes mortelles. Des miliciens plus à¢gés et mieux équipés avec des fusils traditionnels ou de chasse et parfois des armes automatiques étaient en dernière ligne.

33. Le nombre de miliciens constituant un groupe opérationnel variait mais se situait généralement entre 15 et 30, dont une majorité d`enfants. A la tête de chaque groupe se trouvait un `` général » ou un `` capita ». Pendant les opérations, les miliciens Kamuina Nsapu portaient presque toujours les mêmes signes distinctifs : des bandeaux rouges autour de la tête avec des petits couteaux et des fétiches autour du cou. La milice Kamuina Nsapu a été capable en un temps très court de recruter des miliciens, de mener des attaques dans les cinq provinces du Kasaï et de prendre le contrà´le de villages et de cités pendant plusieurs semaines, voire des mois.

34. A partir de 2017, la milice est devenue de plus en plus violente et ses attaques ont pris un caractère ethnique en dehors des zones lubaphones.

C. Les milices Bana Mura

35. Les milices Bana Mura sont composées en grande majorité d`hommes Tshokwe, mais aussi de quelques hommes Pende et Tetéla. Elles ont été créées en février/mars 2017 dans certaines parties du territoire de Kamonia et de la ville de Tshikapa, dans la province du Kasaï, en réaction aux attaques de la milice Kamuina Nsapu, d`ethnie Luba, contre les Tshokwe et Pende.

36. Il existait des liens entre certains acteurs étatiques et les miliciens Bana Mura. Dans la cité de Kamonia, des réunions ont eu lieu entre des autorités politiques et sécuritaires et des chefs locaux, dans le but de constituer des groupes de miliciens. Certains chefs locaux, notamment le chef du village de Muyeji, ont joué des rà´les importants au sein de l`organisation des milices Bana Mura. Même s`il est difficile d`établir l`existence d`une chaîne de commandement commune, des liens existaient entre les différentes milices Bana Mura. Par exemple, des distributions d`armes organisées par des autorités locales ont eu lieu à  plusieurs endroits du territoire de Kamonia.

37. Les miliciens Bana Mura étaient majoritairement des jeunes hommes entre 18 et 22 ans recrutés localement. Les miliciens avaient des armes souvent neuves : des machettes et des fusils de chasse.

38. Les opérations menées par les milices Bana Mura ont été particulièrement violentes, souvent conduites avec les forces de défense et de sécurité et parfois sous leur commandement. Dans d`autres cas les milices Bana Mura ont opéré seules sans que les forces de défense et de sécurité n`interviennent pour stopper les violences et venir en aide aux victimes. Récemment, les forces de défense et de sécurité se sont parfois affrontées aux milices Bana Mura.

VII. Etablissement des faits et circonstances

A. Avril-aoà»t 2016 - le début des violences sur le territoire de Dibaya - Kasaï Central

39. La perquisition du domicile du chef coutumier Kamuina Nsapu le 3 avril 2016, la création subséquente de son mouvement `` politico-coutumier » suivi du recrutement des miliciens ont annoncé le début des violences sur le territoire de Dibaya, Kasaï Central. Entre mai et aoà»t 2016, plusieurs centaines de miliciens, majoritairement des filles et des garçons, ont ainsi été recrutés dans son village et sur le territoire de Dibaya.

40. A partir de juin 2016, la milice Kamuina Nsapu a érigé des barrières autour du village Kamuina Nsapu pour contrà´ler la circulation des policiers, militaires ou d`autres agents de l`Etat. Le 22 juillet 2016, une première attaque a été lancée contre les symboles de l`Etat menant à  la destruction du sous-commissariat de police du village de Mfuamba. Le lendemain, le village du chef coutumier Ntenda en conflit avec le chef coutumier Kamuina Nsapu a été attaqué. C`est la première attaque meurtrière perpétrée par la milice et le bilan fait état d`au moins six morts, quatre blessés par balle, et plus d`une centaine de maisons incendiées.

41. Le chef coutumier Kamuina Nsapu a ensuite mené une série d`attaques sur le territoire de Dibaya en particulier contre les villages et cités de Mfuamba, Bukonde, Tshikula, Dibaya et Tshimbulu. Ces attaques ont conduit à  la destruction et au pillage de bà¢timents publics ou assimilés et à  l`attaque des personnes représentant ou assimilées à  l`autorité publique. Les agents de la PNC ont été les premières victimes de ces attaques. L`attaque la plus meurtrière a été celle de la cité de Tshimbulu, ordonnée par le chef Kamuina Nsapu, dont le bilan fait état d`au moins cinq agents de la PNC et cinq miliciens tués.

42. Suite à  l`échec des tentatives de médiation des autorités, une opération militaire d`envergure est lancée pour stopper la progression de la milice. Avec l`arrivée à  Kananga de renforts militaires, l`opération visait à  prendre le territoire de Dibaya en étau avec plusieurs fronts sur les axes routiers avec pour destination finale le village du chef Kamuina Nsapu. Entre les 10 et 12 aoà»t 2016, des affrontements violents entre les FARDC et la milice Kamuina Nsapu ont eu lieu notamment dans les localités de Tshimbulu, Dibaya, Tshikula, Sampi, Bitanda et Kabunji. Les FARDC ont tiré, y compris avec des lance-roquettes, sur des miliciens, dont de nombreux enfants non armés. Il y a aussi eu des blessés et des morts parmi les militaires.

43. Le 12 aoà»t 2016, les forces de défense et de sécurité ont conduit une opération pour tuer le chef coutumier Kamuina Nsapu dans son village natal. Après des affrontements qui ont fait plusieurs morts, le chef coutumier Kamuina Nsapu est tué par balle par les FARDC et son corps transporté vers Kananga.

44. Les combats entre la milice Kamuina Nsapu et les forces de défense et de sécurité se sont poursuivis sur le territoire de Dibaya. Par exemple, à  la mi-aoà»t 2016, devant la mission catholique de Tshikula, des FARDC ont tiré de manière indiscriminée sur des civils et des miliciens Kamuina Nsapu, en grande partie des enfants. Cette attaque a fait plusieurs dizaines de victimes ; certains corps ont été entassés dans des camions pour être transportés à  l`Ecole de Formation des officiers (EFO) à  Kananga afin d`y être enterrés.

B. Septembre-décembre 2016 - le mouvement Kamuina Nsapu s`étend dans les provinces du Kasaï Central, Kasaï Oriental et Kasaï

45. La mort du chef coutumier Kamuina Nsapu n`a pas mis fin à  la violence au Kasaï. Au contraire, l`expansion de la milice Kamuina Nsapu est devenue fulgurante à  partir de septembre 2016. Si la milice est restée active sur le territoire de Dibaya, elle a étendu son action dans les autres territoires du Kasaï Central et au Kasaï Oriental à  partir de septembre/octobre 2016. Fin novembre 2016, la milice a atteint le territoire de Kamonia, province du Kasaï, sur l`axe Kananga-Tshikapa.

1. Province du Kasaï Central

46. Les 22 et 23 septembre 2016, des miliciens Kamuina Nsapu ont attaqué l`aéroport de la ville de Kananga. Une employée de Congo Airways, plusieurs militaires et de nombreux miliciens ont été tués lors d`affrontements avec les FARDC. Les miliciens Kamuina Nsapu ont incendié des bà¢timents à  proximité de l`aéroport. Par la suite, les FARDC ont tiré des roquettes sur les quartiers situés à  proximité de l`aéroport entrainant la mort de civils dont les corps ont été transportés à  l`EFO.

47. Fin septembre 2016, lors d`opérations de traque de miliciens, les FARDC ont blessé, violé et tué des membres de la population civile à  Kananga et dans des villages avoisinants, tels que Muamba Mbuyi et Tshimpidinga.

48. Sur le territoire de Dibaya, entre septembre et décembre 2016, les violences ont continué. Par exemple, le 8 décembre 2016, dans le village de Bukonde, la milice Kamuina Nsapu a incendié l`Etat-major de la PNC et tué un agent de l`ANR à  coups de machettes. Des villageois ont également été battus et blessés par des machettes. Le lendemain, les FARDC sont arrivés et ont affronté la milice Kamuina Nsapu. Lors de ces affrontements, de nombreux miliciens, y compris des enfants ont été tués. Les FARDC restés dans le village de Bukonde après les affrontements ont pillé des maisons et tué au moins un civil.

2. Province du Kasaï Oriental

49. En octobre 2016, le mouvement Kamuina Nsapu s`est propagé au Kasaï Oriental. Des actes de violences ont été commis dans plusieurs villages du territoire de Kabeya-Kamwanga jusqu`en avril 2017. Par exemple, le 13 octobre 2016, suite à  l`exécution de deux miliciens par des membres des forces de défense et de sécurité à  Kena Nkuna, une centaine de miliciens Kamuina Nsapu, dont une majorité d`enfants, sont entrés dans la cité et ont brà»lés des bà¢timents publics ou assimilés. Par la suite, les FARDC sont arrivés et des affrontements ont eu lieu toute la journée faisant de nombreux morts dans les rangs des miliciens et parmi les civils. Le 15 octobre 2016, les FARDC ont lancé une opération `` porte-à -porte » pour rechercher des miliciens au cours de laquelle plusieurs civils ont été exécutés. Au cours des semaines suivantes, les FARDC ont violé et exécuté des civils et pillé et détruit systématiquement les maisons.

50. Des actes de violences ont été commis dans plusieurs villages du territoire de Miabi, Kasaï Oriental. Par exemple, le 18 décembre 2016, des FARDC ont affronté des miliciens Kamuina Nsapu dans le village de Mwanza Lomba. Ils ont ouvert le feu sur des miliciens munis de bà¢tons et couteaux ; plusieurs personnes, dont des femmes et des enfants, ont été tuées. Les militaires ont achevé les blessés au sol. Suite à  la médiatisation de cet incident, huit des neuf militaires jugés pour ces crimes ont été condamnés en juillet 2017.

3. Province du Kasaï

51. Fin novembre/début décembre 2016, la vague de violences liée au mouvement Kamuina Nsapu a atteint l`axe routier Kananga-Tshikapa sur le territoire de Kamonia, province du Kasaï. A la suite d`un conflit de pouvoir coutumier, un chef non reconnu par les autorités s`est rendu dans la province du Kasaï Central afin de rapporter des fétiches Kamuina Nsapu. Suivant le même schéma, des enfants ont été recrutés au sein de la milice et certains des chefs de villages qui refusaient de prêter allégeance ont été décapités.

52. Le premier incident sur le territoire de Kamonia s`est déroulé le 28 novembre 2016 lorsque deux policiers ont été tués par les miliciens Kamuina Nsapu dans le groupement de Mbawu. Les 4 et 5 décembre 2016, de nombreux miliciens, dont des garçons et des filles, sont entrés dans la ville de Tshikapa. Des affrontements ont eu lieu au niveau du pont Kasaï, dans le quartier de Kele et au niveau de l`aéroport dans le centre-ville.

53. Suite à  cette attaque, les FARDC ont conduit des opérations de représailles dans les villages du groupement de Mbawu et sur l`axe Tshikapa-Kananga au cours desquelles de nombreux civils ont perdu la vie sous les balles des FARDC, notamment dans les villages de Mfuamba, Mbawu, et Kabeya Lumbu. Par exemple, le 6 décembre 2016, des FARDC sont arrivés en grand nombre dans le village de Tshitadi où aucun milicien ne se trouvait. Ils ont brà»lé de nombreuses maisons et ouvert le feu sur la population ; tuant des dizaines d`hommes, de femmes et d`enfants.

C. Janvier-juillet 2017 - explosion des violences dans tout le Kasaï et dimension ethnique du conflit

54. De janvier à  juillet 2017, le mouvement Kamuina Nsapu et sa milice ont continué d`avancer pour toucher toutes les provinces du Kasaï. Des renforts militaires ont été envoyés et un secteur opérationnel militaire a été créé début mars 2017. Le niveau de violences des affrontements et les exactions commises par la milice Kamuina Nsapu et les forces de défense et de sécurité contre les civils ont été exponentiels et ont atteint leur paroxysme entre janvier et mai 2017. Par ailleurs, le conflit prend une nature ethnique prononcée sur le territoire de Kamonia dans la province du Kasaï à  partir de mars 2017 avec l`arrivée de la milice Kamuina Nsapu dans les zones non-lubaphones et l`apparition des milices Bana Mura.

1. Province du Kasaï Central

a. Territoire de Dibaya

55. Sur le territoire de Dibaya, foyer du mouvement Kamuina Nsapu, les actes de violences se sont amplifiés. Par exemple, le 5 janvier 2017, après des incursions des miliciens Kamuina Nsapu à  Tshimbulu ayant conduit à  la destruction du poste de police et la mort d`un policier, des FARDC sont arrivés pour affronter les miliciens. Plus d`une vingtaine de miliciens, en majorité des enfants armés de bà¢tons ont ainsi été tués par des tirs d`armes à  feu et de lance-roquettes ; certains miliciens ont été achevés alors qu`ils étaient au sol blessés. Des habitants ont été blessés ou tués par des projectiles. Au moins trois autres affrontements ont eu lieu à  Tshimbulu y compris le 10 février 2017, où au moins 100 personnes ont été tuées. Des FARDC ont violé des femmes et des filles et aussi pillé des biens et brà»lé des maisons.

56. Des incidents similaires ont eu lieu dans un nombre important de villages de ce territoire notamment à  Bukonde, Dibaya, Kabeya-Madi, Bena Kalegna, Muan Mukaya, Kazadi, Kawulu, Lumbudi, Lubondayi et Lubi. Des viols, souvent collectifs, des pillages et des destructions de biens et d`habitations ainsi que des exécutions sommaires commis par les FARDC y ont été documentés. Pour la première fois sur ce territoire, la milice Kamuina Nsapu s`est attaquée à  la population civile.

57. Près du village de Bukonde, deux membres du Groupe d`experts sur la République démocratique du Congo créé en application de la résolution 1533 (2004) du Conseil de sécurité, la suédo-chilienne Zaida Català¡n et l`américain Michael Sharp, ont été tués le 12 mars 2017. Le corps de Zaida Català¡n a été décapité. A ce jour, leurs quatre accompagnateurs congolais sont toujours portés disparus. Une procédure judiciaire est en cours.

b. Ville de Kananga

58. Dans la ville de Kananga, plusieurs tshiotas ont été installés par la milice Kamuina Nsapu, dont au moins trois dans la commune de Nganza. De nombreux garçons et filles ont été recrutés dans les premiers mois de l`année 2017. De multiples affrontements ont eu lieu dans la ville de Kananga entre la milice et les forces de défense et de sécurité entre janvier et avril 2017 faisant plusieurs centaines de victimes.

59. La nuit du 14 mars 2017, les FARDC ont lancé une attaque planifiée sur trois tshiotas de la commune de Nganza où dormaient des centaines de miliciens Kamuina Nsapu, en majorité des enfants à  partir de 8 ans. Ils ont ouvert le feu et utilisé des lance-roquettes ; faisant de nombreuses victimes parmi les miliciens. Les FARDC ont aussi achevé, parfois à  l`arme blanche, des enfants blessés. Les cadavres ont été entassés dans des camions et emportés par les militaires.

60. Entre le 28-30 mars 2017, les FARDC ont lancé des opérations `` porte-à -porte » dans la commune de Nganza au cours desquelles de nombreux civils, hommes, femmes et enfants, ont été blessés ou tués de manière indiscriminée. Des enfants en bas à¢ge ont été abattus dans leur sommeil. Certains corps ont été emportés par les FARDC, d`autres enterrés par les militaires ou les habitants dans plusieurs fosses communes.

c. Territoire de Kazumba

61. Quelques incidents isolés ont été documentés sur le territoire de Kazumba : les 10 et 11 mars 2017, les miliciens Kamuina Nsapu ont attaqué Notre Dame du Kasaï sur la colline de Malandji, déshabillé et battu plusieurs religieux et coupé la main droite du menuisier de la paroisse ; le 30 avril 2017, les miliciens ont exécuté six personnes d`une délégation d`inspecteurs de l`éducation nationale vers Kafumba ; le 7 mai 2017, les FARDC ont exécuté au moins 79 personnes, dont 19 enfants, et violé quatre femmes au marché du village de Tshikulu.

d. Territoire de Luiza

62. Tous les secteurs du territoire de Luiza ont été le théà¢tre de violences entre fin janvier et juillet 2017. La milice Kamuina Nsapu y est arrivée fin janvier 2017 en provenance du territoire de Dibaya. La milice était sous l`autorité d`un chef Kamuina Nsapu et d`un adjoint originaires de Dibaya. Ce chef a installé plusieurs tshiotas, dont deux importants dans les villages de Kitoko et de Yangala et a parcouru les villages du territoire pour convaincre ou contraindre les chefs de villages d`adhérer au mouvement. Ceux qui refusaient ont été décapités. Dans les villages qui leur étaient hostiles, les miliciens s`en sont pris aux habitants en pillant et brà»lant leurs maisons. Plusieurs centaines de garçons et filles ont été recrutés dans la milice, notamment dans les villages de Kikoto, Moma, Kadongo, Masuika, Mubinza et Tulumé. Ces enfants se sont vus promettre une scolarité gratuite pour quiconque tuerait des militaires.

63. Outre les attaques contre les biens et personnes symbolisant l`autorité étatique ou assimilées, la milice s`est aussi livrée à  des exactions contre la population civile. Les habitants qui ne respectaient pas les règles imposées étaient `` jugés » au tshiota avant d`être battus ou décapités. Des viols, parfois devant les enfants des victimes, ont été commis dans plusieurs villages, notamment à  Muzodi, Masuika et Kamayi. L`église catholique, auparavant généralement épargnée, a été une cible privilégiée de la milice sur le territoire de Luiza et ses biens et bà¢timents ont été en grande partie détruits. De multiples écoles ont été détruites par la milice, notamment à  Kamushilu, Kadongo et Malambo.

64. Entre les 3 et 5 février 2017, plusieurs affrontements violents entre les miliciens Kamuina Nsapu, en majorité des enfants, et les FARDC ont eu lieu dans le village de Nguema, causant la mort de plusieurs dizaines de miliciens. Par la suite et jusqu`à  mi-juillet 2017, de nombreux combats se sont déroulés en particulier dans les villages de Musefu, Kadongo, Masuika, Mubinza, Lumpungu, Kalamba-Mbuji, Tulumé et Yangala. Des centaines de miliciens Kamuina Nsapu, dont des enfants, ont été tués au cours de ces affrontements et de nombreux civils ont perdu la vie en raison de l`usage indiscriminé de la force par les FARDC. Par exemple, dans le village de Muzodi, le 7 avril 2017, les FARDC ont ouvert le feu de manière indiscriminée contre les villageois en tuant une vingtaine. Des viols, notamment collectifs, ont été commis par des éléments FARDC, en particulier dans les villages de Kadongo, Masuika et Yangala. Les FARDC ont systématiquement incendié les villages dans lesquels ils étaient venus déloger les miliciens, notamment à  Kadongo, Moma, Masuika, Yangala et Massala. Le nombre de village détruits par les FARDC s`élève à  plusieurs dizaines et celui d`habitations brulées à  plusieurs milliers.

2. Province de Lomami

65. Dans cette province, le recrutement par la milice Kamuina Nsapu se faisant systématiquement par l`usage de la force. Les personnes, même les enfants, qui refusaient d`adhérer au mouvement étaient décapitées. Des miliciens ont violé des femmes, transgressant ainsi les règles interdisant pareil comportement.

3. Province du Kasaï

66. Si au Kasaï Central la milice Kamuina Nsapu s`en était principalement prise aux symboles de l`Etat, dans la province du Kasaï, c`est la population non-lubaphone qui a été visée surtout dans les territoires de Luebo et de Kamonia.

a. Territoire de Luebo

67. Le mouvement Kamuina Nsapu est apparu sur le territoire de Luebo en décembre 2016, en particulier dans le village de Konyi. Un chef Kamuina Nsapu a recruté des miliciens, en particulier des enfants, et a favorisé la création de plusieurs tshiotas sur ce territoire.

68. La milice Kamuina Nsapu a fait une première tentative d`incursion dans la cité de Luebo début mars 2017 mais est tombée dans des embuscades des FARDC. Après les affrontements à  l`entrée de la cité, au moins 20 cadavres de civils, dont des femmes et des enfants, ont été découverts.

69. Le matin du 31 mars 2017 après le départ des FARDC de la cité, plusieurs centaines de miliciens Kamuina Nsapu y sont entrés sans résistance et en ont pris le contrà´le. Les miliciens étaient armés de bà¢tons, couteaux, machettes, de quelques fusils de chasse et parfois d`armes de guerre. La plupart des bà¢timents publics et ceux de l`église catholique, ainsi que plusieurs écoles, ont été détruits et brà»lés. Au moins quatre civils ont été tués.

70. La milice Kamuina Nsapu a installé un tshiota dans le centre de Luebo. Plusieurs chefs de groupement du territoire de Luebo se relayaient pour contrà´ler la cité. Des règles de vie ont été édictées pour les habitants. Le 9 avril 2017, des miliciens Kamuina Nsapu ont obligé une femme restauratrice et le fils de son mari à  avoir des relations sexuelles en public avant de les tuer et de les décapiter. Ce même jour, un agent de la PNC et deux autres personnes ont aussi été décapités. Des viols ont été commis par des miliciens au début avril 2017.

71. Vers le 16 avril 2017, les FARDC ont repris le contrà´le de la cité après plusieurs affrontements violents au cours desquels de très nombreux enfants miliciens Kamuina Nsapu ainsi que des civils ont perdu la vie. Les FARDC ont ensuite détruit et brà»lé des villages dans les alentours de la cité de Luebo où se trouvaient des foyers de miliciens, causant des victimes dans la population civile. Plusieurs fosses communes ont été identifiées. Il est rapporté que le bilan total des violences sur le territoire de Luebo serait d`au moins 770 morts, 350 femmes et 420 hommes dans des affrontements, et de 208 personnes blessées.

b. Territoire de Kamonia : axe Tshikapa-Kananga

72. Entre janvier et juin 2017, la milice Kamuina Nsapu a continué à  être particulièrement active sur l`axe routier Tshikapa-Kananga. Par exemple, autour du 24 mars 2017, 37 agents de la PNC et deux éléments des FARDC ont été tués et certains décapités par la milice dans le village de Malenga. Une quantité importante d`armes et de munitions a été saisie par les miliciens.

73. Les moyens utilisés par les FARDC pour stopper la milice Kamuina Nsapu ont été excessifs, tuant nombre de civils, notamment dans le groupement de Mbawu et dans les villages de Kabeya Lumbu et de Kamuesha.

c. Ville de Tshikapa

74. Entre février et juin 2017, des actes de violences ont eu lieu dans la ville de Tshikapa où les habitants vivent dans des quartiers divisés par ethnies.

75. Les miliciens Kamuina Nsapu ont notamment décapité plusieurs agents de la PNC dont un commandant en mars 2017. Le niveau de violence des miliciens contre les civils s`est ensuite accentué et des décapitations, mutilations, et viols, fréquemment collectifs et si violents que certaines femmes sont décédées des suites de leur agression, ont été commis dans la ville de Tshikapa et dans les villages alentours. 76. Plusieurs affrontements entre les FARDC et les miliciens Kamuina Nsapu ont eu lieu à  Tshikapa en mars-avril 2017 dans le quartier de l`hà´pital général et dans les communes de Kele et Kanzala. Les FARDC n`ont pas fait de distinction entre les miliciens et les habitants. Par conséquent, des civils lubaphones ont été blessés ou tués. De plus, des militaires se sont introduits de nuit dans les maisons de citadins et ont commis des exactions graves à  leur égard. Ils ont ainsi décapité des hommes, violé plusieurs filles et femmes, enlevés des filles mineures et même éventré une femme enceinte.

77. A partir d`avril 2017, des civils des ethnies Tshokwe et Pende de la ville, assimilant les habitants de l`ethnie Luba aux miliciens Kamuina Nsapu, ont conduit des opérations de représailles de nuit dans les habitations des quartiers à  majorité lubaphone ; commettant des meurtres et incendiant des maisons.

d. Sud du territoire de Kamonia

78. La milice Kamuina Nsapu est entrée dans la partie sud du territoire de Kamonia progressant vers des zones majoritairement Tshokwe. Elle y est devenue très active à  partir de mars 2017, en particulier sur l`axe entre Mutena et Kamako et dans la partie frontalière avec l`Angola.

79. Entre mars et mai 2017, les miliciens Kamuina Nsapu ont été actifs dans la cité de Kamako. Le 6 mars 2017, les miliciens y ont fait une première incursion et se sont attaqués aux locaux de la PNC ; tuant deux ou trois agents de la PNC. En réaction la PNC a arrêté et détenu illégalement des civils, leur a fait subir des traitements inhumains, et a exécuté sommairement au moins trois d`entre eux. Le 13 avril 2017, un grand nombre de miliciens Kamuina Nsapu ont pris le contrà´le de la cité où ils ont recruté de nombreux garçons et filles. Ils ont décapité au moins 40 personnes au tshiota, dont un colonel de la PNC, des agents de l`Etat ainsi que des personnes accusées de vol ou de sorcellerie. 80. Le 1er mai 2017, les FARDC sont entrés dans Kamako et en ont repris le contrà´le après des affrontements violents qui ont fait au moins une cinquantaine de morts dont de nombreux enfants non armés. Les FARDC ont ramassé des cadavres dans deux camions. D`autres corps ont été enterrés par des habitants et la Croix-Rouge.

81. Tout au long de l`axe Mutena-Kamako et dans la partie frontalière avec l`Angola, des exactions similaires ont été commises par les miliciens Kamuina Nsapu et les FARDC, notamment dans les villages de Diboko, Lubami-Monga, Tshiniota et Sumbula, Mutshima, Lupemba, Mudjadja, Lumpedi, Kungu, Kilolo, Bakua Mukuna et Bwalu Kai. De plus, des viols de femmes, dont certains collectifs, et d`un homme commis par des miliciens Kamuina Nsapu ont été documentés dans ces villages ou lors de la fuite des habitants de cette partie du territoire de Kamonia. Par exemple, en mai 2017, des hommes et des garçons du village de Mudjadja ont été enlevés à  leur domicile par des miliciens Kamuina Nsapu et amenés au tshiota de Diboko sous prétexte d`y être baptisés. Sur place, au moins 186 hommes et garçons ont été décapités puis les cadavres enterrés par la Croix-Rouge dans deux fosses communes.

82. Les incursions des miliciens Kamuina Nsapu dans la cité de Kamonia ont commencé vers le 10 avril 2017 ; au moins 35 miliciens, majoritairement des enfants, y ont été tués par les forces de défense de sécurité et des miliciens Bana Mura. Lors de leurs incursions, les Kamuina Nsapu ont tué des habitants, violé des femmes, pillé des habitations et décapité des personnes associées à  l`autorité étatique. Quant aux miliciens Bana Mura, ils répondaient aux ordres d`au moins deux chefs civils et d`un colonel de la PNC et agissaient de concert avec les membres des forces de défense et de sécurité. A la même période, des miliciens Bana Mura ont commis des exactions contre la population lubaphone et Bindi, qu`ils soupçonnaient de sympathie avec la milice Kamuina Nsapu. Plusieurs dizaines de personnes ont été tuées au cours de ces opérations de répression ; les corps ont été enterrés dans une douzaine de fosses communes. Des maisons ont été pillées, d`autres brulées, parfois avec leurs habitants à  l`intérieur. Dans le village voisin de Tshimunde, des dizaines de personnes ont été tuées par des miliciens Bana Mura. En avril et mai 2017, les FARDC ont également commis des exécutions sommaires, enlevé des filles et commis des viols.

83. Suite aux attaques et meurtres ciblés par les miliciens Bana Mura, la population lubaphone de la cité de Kamonia a fui en masse vers la ville de Tshikapa. Sur cette route, les miliciens Bana Mura ont violé, exécuté sommairement et maltraités les personnes en fuite. Les FARDC ont aussi extorqué et battu des civils et violé des femmes et des filles fuyant les violences. Par exemple, une femme enceinte de sept mois a été violée par un élément FARDC puis par un milicien Bana Mura. Des barrières ont été érigées le long de cet axe, soit par des miliciens Bana Mura, soit par les forces de défense et de sécurité, soit conjointement, et nombre d`exactions y ont été commises contre les lubaphones. Des témoins ont décrit avoir traversé des villages désertés, d`autres brà»lés et vu de nombreux cadavres, notamment de femmes et d`enfants.

84. Au mois de mars 2017, la milice Kamuina Nsapu est arrivée dans le secteur de Lovua-Luthsima et a décapité de nombreuses personnes en particulier dans les villages de Senge (ou Cinq) et de Mvula Milenge. En réaction, les milices Bana Mura ont augmenté leurs activités. Entre les 24 et 26 avril 2017, de très nombreux hommes, femmes et enfants lubaphones ont été blessés et tués lors d`attaques planifiées par les miliciens Bana Mura dans les villages de Senge, Camp Kwilu, Kakondo et Mvula Milenge. Les miliciens Bana Mura, étaient composés de Tshowke, armés de fusils et de machettes, dont certains fournis par le chef du village de Muyeji. Les miliciens Bana Mura ont clairement ciblé les habitants lubaphones.

85. Au bord de la rivière Tshikapa au niveau de Kakondo, une barrière avait été mise en place par les miliciens Bana Mura dans l`objectif d`empêcher la fuite des lubaphones. Ceux parlant la langue Tshokwe pouvaient passer. A cet endroit, de nombreux habitants lubaphones, dont des enfants, ont été exécutés au moment de leur traversée de la rivière. D`autres, lors de leur fuite, ont été maltraités ou exécutés. Des femmes et filles ont été violées. Des FARDC, dans certains cas, ont appuyé et encadré les miliciens Bana Mura lors d`attaques ; dans d`autres cas, ils ont escorté des groupes de déplacés. Par contre, les FARDC ne sont pas intervenus pour empêcher les nombreuses exactions commises par les miliciens Bana Mura contre les lubaphones.

86. Au passage de la rivière Tshikapa, des miliciens Bana Mura ont séparé de la population lubaphone les hommes et les femmes non en à¢ge de procréer qui ont été décapités et jetés dans la rivière. En revanche, les autres femmes et filles ont été amenées dans des fermes appartenant à  des individus de l`ethnie Tshokwe, notamment à  Sha-Findji, Tshikola et Kisasa. Les femmes et les filles retenues dans ces fermes étaient sous surveillance permanente et certaines devaient travailler toute la journée. Elles ont été violées de manière répétées pendant leur captivité, parfois plusieurs fois par jour, souvent pendant des mois. Selon plusieurs victimes, l`intention des auteurs était qu`elles mettent au monde des Tshokwe puisque l`ethnie est transmise par le père. Des enfants lubaphones de tous à¢ges ont également été amenés dans ces fermes où ils ont été maltraités et malnutris. Dans certains cas, les noms d`enfants lubaphones auraient été changés pour des noms Tshokwe. A ce jour, des femmes et des enfants sont toujours retenus dans ces fermes.

e. Nord du territoire de Kamonia

87. Dans des villages du nord de Tshikapa, des individus de l`ethnie Pende se faisant appeler Ecurie Mbe Mbe ont attaqués les lubaphones et ont blessé et tué des civils, enlevé des enfants qui seraient retenus en esclavage, ainsi que pillé et incendié des habitations.

VIII. Conséquences de la crise au Kasaï et situation actuelle

88. A partir d`aoà»t 2017, le niveau de violence a diminué dans toutes les provinces du Kasaï. Toutefois des actes de violences liés à  la crise continuent d`être rapportés indiquant que les causes du conflit n`ont pas été adressées. Les FARDC ont continué à  faire un usage excessif de la force dans le cadre d`opérations contre la milice Kamuina Nsapu. Des personnes suspectées sans fondement d`appartenir à  la milice continuent d`être détenues, battues ou tuées. Des villages où la présence des miliciens est suspectée ont été pillés ou incendiés. Par exemple, le 30 novembre 2017, dans le territoire de Kamonia, province du Kasaï, les FARDC ont fait irruption dans le village de Kabeya-Lumbu, qu`ils associaient à  la milice Kamuina Nsapu. Ils ont ouvert le feu sur la population près du marché après une distribution de vivres d`une organisation humanitaire ; faisant plusieurs morts et blessés. De manière générale, la forte présence militaire dans le Kasaï a engendré le harcèlement de la population et de nombreux cas d`extorsion sont relevés, notamment aux barrières tenues par les FARDC sur les axes routiers.

89. La milice Kamuina Nsapu est restée active, surtout au Kasaï Central et continue de recruter, y compris des enfants, et à  mener des attaques dont l`ampleur a diminué. Par exemple, dans la nuit du 30 avril 2018, des miliciens ont attaqué et tué le chef coutumier par intérim du village de Kamuina Nsapu, qui était proche des autorités provinciales, ainsi que trois membres de sa famille.

90. Dans la partie sud du territoire de Kamonia, de vives tensions entre les membres des ethnies Tshokwe et Luba se sont également manifestées par des attaques de villages par les milices Bana Mura et par des affrontements entre les miliciens Bana Mura et des individus de l`ethnie Luba concernant l`accès aux sites miniers. Des femmes Luba, parfois avec leurs enfants, continuent d`être réduites en esclavage par des miliciens Bana Mura. Malgré des efforts de plaidoyer de certaines organisations internationales, la réaction des forces de sécurité congolaises face à  ces crimes reste insuffisante. Par ailleurs, la présence des miliciens Bana Mura empêche des personnes déplacées de l`ethnie Luba de retourner dans leurs villages d`origine.

91. Les violences au Kasaï ont provoqué une crise humanitaire aiguà« et sans précédent, occasionnant le déplacement d`environ 1,4 millions de personnes, dont 35000 réfugiées en Angola. Selon les chiffres du PAM et de la FAO, environ 3,2 millions de personnes continuent de souffrir d`insécurité alimentaire sévère et les taux de malnutrition sont élevés, surtout parmi les enfants.

92. L`EEI a été choquée par la situation humanitaire, en particulier la précarité dans laquelle se trouvent les populations déplacées en raison des violences. De nombreuses personnes interviewées ont passé des semaines voire des mois dans des conditions extrêmement difficiles, avant de pouvoir atteindre des villes comme Tshikapa ou Kikwit. Elles ont fui les violences sans ou avec un minimum d`assistance et de secours. Certaines, dont des enfants, sont mortes de malnutrition ou de maladies. La multiplication de barrières tenues par des acteurs armés empêche l`accès aux champs et l`économie locale en est affectée. La perception de taxes illégales fait augmenter le prix des produits de première nécessité.

93. Les violences ont particulièrement affecté les enfants du Kasaï. Ces derniers ont en effet été à  la fois les principales victimes et acteurs des violences. L`UNICEF a dénombré 1220 garçons et 658 filles recrutés et utilisés par la milice Kamuina Nsapu au 30 aoà»t 2017. L`EEI estime que leur nombre est beaucoup plus élevé et que le recrutement continue. Beaucoup d`enfants ont été enlevés, blessés, mutilés, détenus ou exécutés. Certains ont vu leurs parents battus, décapités ou leurs mères violées. Beaucoup d`entre eux ont été forcés de combattre, placés en première ligne sans armes ou avec des armes factices, des couteaux et parfois des fusils traditionnels. Ils ont été forcés à  tuer et décapiter. Les traumatismes physiques et psychologiques et leur stigmatisation demandent une prise en charge à  long terme. Cette utilisation massive d`enfants appartenant à  la même ethnie a de multiples conséquences sur leur communauté et créé un climat de suspicion à  leur égard, engendrant des réactions extrêmes.

94. L`UNICEF estime que depuis le début de la crise au Kasaï 416 écoles et 224 centres de santé ont été pillés ou détruits. Les écoles et autres lieux d`enseignements constituaient des cibles privilégiées de la milice Kamuina Nsapu.

95. Un nombre important de victimes de violences sexuelles et principalement de viols ont témoigné des difficultés auxquelles elles doivent faire face. Outre les difficultés médicales et psychologiques endurées, les survivantes subissent également l`ostracisme de leur famille et de leur communauté en raison du poids des traditions et des difficultés économiques et sociales qui en découlent. Nombre de femmes ont été violées devant leur mari, leurs enfants ou d`autres membres de leur famille.  C`est donc tout le tissu social kasaïen qui subit les conséquences de ces violences sexuelles. La plupart des victimes de viols hésitent à  porter plainte de peur d`être stigmatisées et à  cause du sentiment général de méfiance envers la justice et l`absence de réparation effective.

IX. Qualification juridique

96. Les actes de violence commis à  l`égard des populations civiles constituent des violations des droits de l`homme et du droit international humanitaire constitutives de crimes internationaux.

A. Crimes contre l`humanité

97. L`article 7(1) du Statut de Rome définit les crimes contre l`humanité comme des actes commis dans le cadre d`une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque. L`attaque lancée contre une population civile consiste en la commission multiple d`actes constitutifs de crimes en application ou dans la poursuite de la politique d`un Etat ou d`une organisation ayant pour but une telle attaque. `` [G]énéralisée » renvoie au fait que l`attaque ait été menée à  grande échelle et qu`il y ait un certain nombre de victimes, alors que l`adjectif `` systématique » se réfère au caractère organisé des actes de violence et l`improbabilité que leur caractère soit fortuit. La présence au sein de la population civile de combattants ne prive pas cette population de sa qualité de civile. 98. Les attaques décrites dans les sections précédentes par les forces de défense et de sécurité, la milice Kamuina Nsapu et les milices Bana Mura ont été menées contre les populations civiles avec un caractère généralisé ou systématique, et dans la poursuite de la politique d`un Etat ou d`une organisation ayant pour but une telle attaque ; constituant ainsi des crimes contre l`humanité, y compris : meurtre, viol ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable, réduction en esclavage, notamment sexuel, persécutions et autres actes inhumains.

B. Crimes de guerre

99. L`article 8(c) et (e) du Statut de Rome définit les crimes de guerre en cas de conflit armé non-international comme les violations graves de l`article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949 à  l`encontre de personnes ne participant pas directement aux hostilités ainsi que les autres violations graves des lois et coutumes de la guerre.

100. L`EEI a des motifs raisonnables de croire qu`à  partir d`aoà»t 2016 et durant l`époque des faits visés dans le présent rapport, il existait un conflit armé non-international au Kasaï opposant les FARDC et la milice Kamuina Nsapu. Pour établir l`existence d`un tel conflit, deux critères doivent être démontrés : un niveau minimum d`organisation des parties au conflit ainsi qu`une certaine intensité de la violence.

101. Les faits révélés dans ce rapport permettent de conclure que la milice Kamuina Nsapu constitue un groupe armé bénéficiant d`un niveau d`organisation suffisant pour mener un conflit armé prolongé, notamment du fait de : l`existence de chaînes de commandement, d`une certaine stratégie, d`une capacité de recruter et de former des combattants, l`existence et la mise en œ“uvre de sanctions disciplinaires servant à  s`assurer de l`exécution des ordres donnés, ainsi que la capacité de planifier et lancer des opérations militaires coordonnées et à  grande échelle.

102. Il ressort également des faits que l`intensité de la violence - y compris le nombre, la durée, la fréquence et la gravité des affrontements armés et leur propagation sur un territoire recouvrant quatre provinces durant une période prolongée - était bien au-delà  de simples situations de troubles et tensions internes. Le nombre de victimes et de personnes déplacées ayant fui les combats, l`ampleur et l`étendue des destructions sur quatre provinces, le type et le nombre de forces gouvernementales intervenants et la création d`un secteur militaire opérationnel pour faire face à  la situation permettent également de soutenir cette conclusion.

103. Nombre d`actes décrits ci-dessus ont été commis par les FARDC et la milice Kamuina Nsapu à  l`égard de personnes ne participant pas directement aux hostilités ou en violation des lois et coutumes de la guerre dans le cadre d`un conflit armé non-international, constituant ainsi des crimes de guerre, y compris : meurtre, mutilation, viol ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable, pillage, le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile en tant que telle ou contre des personnes civiles qui ne participent pas directement aux hostilités, le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des bà¢timents consacrés à  la religion et à  l`enseignement ainsi que des hà´pitaux qui n`étaient pas des objectifs militaires, ainsi que le fait de procéder à  la conscription ou à  l`enrà´lement d`enfants de moins de 15 ans dans des groupes armés ou de les faire participer activement à  des hostilités.

C. Violations des droits de l`homme

104. Les faits révélés dans le présent rapport permettent de conclure que les droits de l`homme suivants ont notamment été violés : droit à  la vie, droit à  l`intégrité physique ou mentale, réduction en esclavage, interdiction du recrutement et de l`utilisation d`enfants soldats, droit à  la liberté et à  la sécurité, et liberté de circulation. Ces violations ont eu un impact direct sur la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels de la population du Kasaï.

X. Conclusions et recommandations

A. Conclusions

105. L`EEI est choquée par la situation désastreuse des droits de l`homme qui perdure dans la région du Kasaï depuis 2016. Elle est particulièrement alarmée par l`ampleur des actes de violences que ses enquêtes ont permis de révéler. Le présent rapport ne reflète qu`une petite partie des actes et crimes commis. Bien qu`elle ne soit pas en mesure de donner un chiffre précis du nombre de victimes, l`EEI estime que plusieurs milliers de personnes ont perdu la vie durant la crise. Face à  cette tragédie, l`EEI est préoccupée du faible niveau d`attention qu`elle a suscité.

106. L`EEI confirme que les forces de défense et de sécurité, la milice Kamuina Nsapu et les milices Bana Mura ont délibérément tué des civils, dont de nombreux enfants. Ils ont commis de nombreuses atrocités, notamment des mutilations, viols et autres formes de violences sexuelles, ainsi que des destructions de villages. L`EEI est d`avis que certaines des exactions commises par les forces de défense et de sécurité, les milices Bana Mura et la milice Kamuina Nsapu constituent des crimes contre l`humanité ou des crimes de guerre, ainsi que des violations et des atteintes aux droits de l`homme.

107. Les violences au Kasaï ont réveillé des tensions ethniques latentes et le conflit a pris une dimension ethnique à  partir du début de l`année 2017, en particulier sur le territoire de Kamonia. L`EEI est d`avis que les exactions commises par les milices Bana Mura contre les membres de l`ethnie Luba et certaines commises par la milice Kamuina Nsapu contre les membres des ethnies Tshokwe et Pende peuvent être qualifiées de persécution pour des motifs ethniques constitutives de crimes contre l`humanité.

108. L`EEI considère qu`il est urgent de mettre en place une politique de désarmement des milices et un processus de réconciliation afin d`éviter une nouvelle vague de violences et permettre le retour des déplacés et réfugiés.

109. Un très sérieux problème d`impunité subsiste au regard de l`ampleur et de la gravité des crimes. Si quelques procédures judiciaires ont été ouvertes et quelques jugements rendus, les efforts déployés sont nettement insuffisants pour apporter une réponse satisfaisante aux victimes à  l`égard des crimes qu`elles ont subis. Un travail rigoureux et d`envergure reste à  accomplir au plan judiciaire pour que les auteurs des crimes liés à  la vague de violences soient jugés et que les très nombreuses victimes soient effectivement rétablies dans leurs droits. S`il incombe en premier lieu aux autorités congolaises de juger les auteurs de crimes internationaux, l`EEI rappelle que le Procureur de la Cour pénale internationale, où la situation en RDC est déjà  sous enquête, a exprimé sa préoccupation quant aux actes de violences commis au Kasaï et indiqué qu`elle continuait à  suivre de près la situation.

B. Recommandations

110. L`EEI considère qu`il est urgent d`engager dès maintenant la lutte contre l`impunité par la sanction des crimes les plus graves commis par tous les acteurs impliqués dans la crise. Toutefois, pour garantir la non répétition des violences, rendre justice aux victimes et favoriser la réconciliation, la seule sanction des crimes les plus graves ne sera pas suffisante.

1. L`EEI recommande aux autorités congolaises :

111. De s`engager dans un processus inclusif de justice transitionnelle visant établir la vérité, identifier les causes profondes de la crise et apporter réparation aux victimes afin d`assurer la réconciliation ;

112. De respecter leurs engagements internationaux et d`appliquer les lois en vigueur ;

113. De renforcer la capacité des auditorats militaires du Kasaï afin qu`ils puissent enquêter poursuivre et juger les auteurs, y compris les plus hauts responsables, des nombreux crimes internationaux commis au Kasaï depuis 2016 en :

a.i. augmentant les ressources humaines et logistiques des auditorats ;

a.ii. s`assurant que les officiers à  la tête des auditorats militaires soient au moins au même niveau que les officiers en charge des opérations dont la responsabilité pourrait être engagée ;

a.iii. appliquant une stratégie des poursuites afin de s`assurer que les auteurs de toutes les parties impliquées dans les violences soient jugés ;

114. De s`assurer de la mise en place de personnels spécialisés chargés d`enquêter et de poursuivre spécifiquement les crimes de violence sexuelles ;

115. D`appliquer effectivement les mesures de protection judiciaire envers les victimes de crimes de violences sexuelles et encourager celles-ci à  porter plainte et à  s`exprimer devant la justice par la mise en place d`une assistance judiciaire ;

116. De s`assurer que les personnes reconnues coupable de crimes de violence sexuelles soient condamnées à  des sanctions appropriées et qu`elles ne soient pas intégrées ou maintenues dans les forces de défense et de sécurité ;

117. Dans les cas où des mineurs seraient jugés, de s`assurer que les enquêteurs aient une formation spécialisée et que les enfants accusés soient jugés devant des chambres spécialisées pour mineurs avec des procédures adaptées ;

118. D`appliquer effectivement les mesures de protection judiciaire envers les enfants victimes afin de faciliter leur participation et de protéger leur identité ;

119. De prendre les mesures concrètes et effectives pour que les victimes de violences sexuelles et les enfants victimes bénéficient de services médicaux, psycho-sociaux et socio-économiques adaptés en incorporant une approche basée sur le genre ;

120. D`œ“uvrer immédiatement pour la libération des femmes et enfants toujours captifs des miliciens Bana Mura sur le territoire de Kamonia.

2. L`EEI recommande à  la MONUSCO :

121. D`apporter un appui concret aux autorités judiciaires compétentes dans le cadre des poursuites judiciaires contre les auteurs de violations et d`atteintes aux droits de l`homme dans le Kasaï, notamment en soutenant des audiences foraines.

3. L`EEI recommande au Secrétaire-général de l`ONU :

122. De suivre de près l`avancement des enquêtes congolaises sur la mort des deux experts des Nations Unies et leurs accompagnateurs, et, si nécessaire, de renforcer le mandat et les ressources de l`Equipe des Nations Unies chargée d`aider la justice militaire afin que les personnes responsables soient traduites en justice.

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