
En 2005, l'ex-premier ministre Dominique de Villepin avait reçu à Matignon Maitre Liévin Ndondji, coordonateur de la coalition contre la peine de mort pour la remise du prix des droits de l'homme de la République Française
Lorsque le gouvernement de la République Démocratique du Congo laisse mourir ses officiers, après les avoir torturé cela est plus grave. Dans un article, daté 14 novembre dernier, la section canadienne d`Amnesty International, écrivait sous le titre `` Des soins médicaux urgents pour major Yawa Gomonza et le colonel Paul Ndokay» que ces deux officiers supérieurs de l`armée congolaise ont un besoin urgent de soins médicaux suite aux sévices corporels qu`ils ont subis dans les cachots de la Direction des renseignements généraux et services spéciaux de la police (DRGS). Amnesty International Canada tirait déjà la sonnette d`alarme sur le fait que les deux hommes sont détenus sans qu`une information judiciaire n`ait été ouverte à leur charge. La mort du major Yawa Gomonza fait suite à d`autres décès survenus parmi les détenus du CPRK : celui du caporal Saolona Denango, mort le 23 avril 2008, celui du sergent Mombili Ekutshu, mort le 13 février 2008, et celui de Léonard Nyembo, mort le 30 janvier 2008. Ces personnes appartenaient à un groupe de détenus, militaires pour la plupart, qui ont été arrêtés entre fin 2006 et avril 2007. " Enquête dans les couloirs de la mort de Kinshasa, Lubumbashi, Buluwo, Kindu et Goma" est un rapport des missions d'enquête judiciaire mené en 2005 et 2006 de trois missions successives dans l'Afrique des Grands Lacs, rédigé par Maître Liévin Ngondji Ongombe, avocat et Coordonateur de la coalition congolaise contre la peine de mort et Maela Bégot sociologue. Nous publions une partie de l'enquête notamment sur la situation des prisonniers du pavillon 2 du Centre pénitentiaire et de rééducation de Kinshasa (CPRK). La situation au CPRK s'est-elle améliorée depuis cette enquête? A chacun de se faire une opinion sur la situation des détenus de la prison de Makala, cette dernière n'a jamais évolué vers un Centre Pénitentiaire et de Rééducation.

Maélo Bégot, sociologue et Maître Liévin Ngondji, coordonateur de la coalition congolaise contre la peine de mort, après la réception du prix des droits de l'homme de la République Française à Matignon
La militarisation de la société
La RDC est une société très militarisée : déjà , le pouvoir
de Mobutu reposait largement sur l`armée et les forces
de sécurité, fortement politisées. Aujourd`hui encore, le
nombre de militaires en RDC est particulièrement élevé.
à€ partir de là , deux facteurs principaux semblent selon
nous expliquer le fait que seules les juridictions militaires
condamnent à mort en RDC: d`une part la paupérisation
des militaires et la criminalité au sein de l`armée,
ensuite la circulation très importante d`armes dans ce pays
La militarisation de la justice
au mépris des droits humains
Déjà sous Mobutu, la justice militaire disposait de pouvoirs
très importants, notamment la possibilité de juger
des civils. La militarisation de la justice s`est accentuée lors
de la guerre, où des pouvoirs démesurés ont été accordés
à la justice militaire. La Cour d`ordre militaire, créée
en 1997, et qui avait le pouvoir de juger des civils, s`est
illustrée par le nombre particulièrement élevé de peines
capitales prononcées, après des procès iniques. La Com
a été supprimée en 2003, cependant les pouvoirs de la
justice militaire en RDC restent toujours démesurés.
Les militaires, des prédateurs pour les Congolais
Les militaires ont toujours été considérés par les Congolais
comme des personnes dangereuses. Déjà , durant la colonisation,
l`armée avait été mise en place par le pouvoir
colonial afin de réprimer les colonisés et assurer l`exploitation
des ressources naturelles du pays. Sous Mobutu,
le mépris du droit et la répression des populations civiles
caractérisaient le comportement des Forces armées
zaïroises. Malgré les promesses de Laurent-Désiré Kabila,
la situation ne s`est pas améliorée en RDC, d`autant plus
que l`État congolais paie très irrégulièrement les soldes
des militaires. Le nombre important de soldats conjugué
à un État défaillant qui ne paie pas ses agents, a abouti
à ce que les militaires et policiers congolais deviennent
de véritables prédateurs pour la population, vivant du
racket, de la corruption et même du pillage.
La plupart
des militaires vivent dans la misère, et leur mode de subsistance
consiste à utiliser le pouvoir symbolique de leur
uniforme, celui bien réel de leur arme, et les menaces
d`arrestation pour voler un peu d`argent à la population.
Tout prétexte est bon pour extorquer de l`argent: la liberté
de circulation de chaque citoyen est constamment entravée
par le racket effectué par les militaires et la police ;jusqu`au simple agent de circulation qui demande de l`argent
à chaque voiture qu`il arrête.
Et les exactions des
militaires ne se limitent pas au racket, et peuvent aller
jusqu`au pillage en bande organisée et au meurtre. En
1993, des pillages à grande échelle dans tout le pays,
ont été menés par les militaires de l`armée congolaise
pour protester contre le non paiement de leur solde, ou
contre une solde insuffisante à satisfaire leurs besoins
vitaux car payée dans une monnaie sans valeur aucune.
Ces pillages ont visé non seulement les industries et commerces,
mais aussi les ménages.
La pauvreté est toujours
la même aujourd`hui: un militaire congolais reçoit 12 dollars
par mois. Cette criminalisation des militaires, d`autant
plus facile qu`ils sont armés, est aussi l`une des
raisons pour laquelle beaucoup de soldats se retrouvent
face à la justice pour des crimes passibles de la peine
capitale, comme le meurtre ou l`assassinat mais aussi le
vol à main armée ou l`association de malfaiteurs, qui
selon les listes que nous avons obtenues dans les prisons,
sont les infractions pour lesquelles le plus grand
nombre d`individus est condamné à mort.
La prolifération des armes légères :
l`armement des civils
En outre, de nombreuses armes de guerre circulent en
RDC. Leur prolifération, issue de la fin de la période coloniale
d`abord, puis de la guerre froide et des différents
conflits qui ont déchiré l`Afrique des Grands Lacs dans
les années 1990, est impressionnante. Les armes légères
notamment: faciles à manier, peu chères, faciles à
transporter et à entretenir, c`est un équipement de choix
pour les groupes rebelles, les combattants faiblement organisés
et entraînés, ou les bandits.
En conséquence, de
nombreux civils parviennent aussi à se procurer de telles
armes, d`autant plus qu`à l`intérieur même du Congo-
Kinshasa leur échange est aisé entre civils et militaires :
c`est ainsi que suite à la désintégration du régime de
Mobutu en 1997, de nombreux soldats ont vendu leurs
fusils et pistolets pour gagner un peu d`argent. Par ailleurs
dans l`est du pays, notamment dans le Nord-Kivu,
territoire contrà´lé par les ex-rebelles du RCD, des armements
ont été distribués à la population par les autorités
locales : il existe dans cette province des Local Defense
Forces, groupes paramilitaires contrà´lés par l`État, sur le
modèle rwandais, officiellement appelés `` Unités d`autodéfense
et de développement », qui selon les autorités
locales auraient compté près de 30 000 personnes, souvent
recrutées de force, comme le cas de Jean Nguba,
condamné à mort de Goma évoqué plus tà´t, nous l`a montré.
Par ailleurs, selon Human Rights Watch, toujours dans
le Nord-Kivu, en 2004, des armes ont été distribuées dans
les campagnes sur volonté du gouverneur de province,
afin de créer `` une nouvelle réserve de civils armés disponibles
pour exécuter les ordres du gouverneur et pour
aider à conserver le contrà´le sur le Nord-Kivu face à de
possibles avancées du gouvernement de transition et de
ses troupes40 ». Les civils s`opposant à cette distribution
étaient menacés ou tués. Ces armes ont été détournées
en partie pour des crimes ou des pillages, et ont très fortement
augmenté l`insécurité dans la région.
Des fusils
auraient même été distribués à des enfants de 10 ans, et
des Kalachnikovs à des jeunes hommes d`à peine 16 ans.
Or, la Com avait la capacité de juger toutes les infractions
à main armée, même commises par des civils. Aujourd`hui
encore, les civils peuvent être poursuivis devant les juridictions
militaires pour utilisation d`armes de guerre.
Comme pour les militaires, la plupart des civils condamnés
à mort en RDC le sont pour meurtre ou vol à main
armée, et on peut facilement comprendre à quel point
la circulation des armes légères au Congo est aussi l`une
des raisons pour laquelle tant de civils se sont retrouvés
devant la Com et les juridictions militaire.

L'écriteau sur ce fronton correspond-t-il aux réalités que vivent et subissent les détenus du CPRK?
1 CPRK, Pavillon 2 :
le couloir de la mort kinois
Pour le visiteur qui pénètre dans le Centre pénitentiaire
et de rééducation de Kinshasa (CPRK), la première
impression est assez surprenante : les détenus circulent
à l`extérieur de leurs blocs, certains cultivent de petites
parcelles, d`autres vendent des friandises, jouent au football
ou aux cartes. Aucun gardien ne surveille l`intérieur
de la prison, les détenus semblent disposer d`une grande
liberté au sein du centre pénitentiaire.
Pour peu qu`on
entre au CPRK un jour de visite, les cris des enfants, les
rires des femmes, et les tenues aux couleurs vives des
prisonniers, bleue et jaune aux couleurs du drapeau
congolais42, forment un tableau plutà´t sympathique. Le
visiteur est d`ailleurs accueilli par un avertissement, écrit
sur les murs autrefois blancs de la prison : `` Le CPRK tient
au respect d`instruments juridiques internationaux relatifs
aux droits humains. »
Pour le visiteur extérieur, qui s`attend à entrer en enfer,
cette première impression est rassurante, mais elle est
fort trompeuse. La capacité d`accueil du CPRK est de 1500
personnes. Actuellement, 3300 prisonniers y vivent, réparties
dans 12 pavillons, dont certains sont inutilisables, ce
qui accentue les problèmes de surpopulation43. Les pavillons
`` en bon état » regroupent chacun plus de 300 personnes.
Les cellules d`à peine 10 m2 peuvent rassembler
jusqu`à une dizaine d`individus. Seuls les plus favorisés
disposent de matelas ou de couvertures. De nombreux
détenus souffrent de la tuberculose, de la malaria ou du
sida et n`ont accès à aucun traitement. Les plus malades
meurent sur place, faute de moyens de transport pour
les amener à l`hà´pital. La nourriture est insuffisante, et
les détenus qui ne sont pas aidés par leur famille souffrent
de malnutrition.
S`il y a effectivement très peu de gardiens au sein de la
prison, la garde présidentielle assurant la sécurité seulement
à l`extérieur, ce sont les détenus eux-mêmes qui
assurent l`ordre et la sécurité, d`une manière très autoritaire
et coercitive, selon une organisation calquée sur le
modèle militaire, créant un ordre arbitraire et violent
auquel doit se plier tout condamné. L`impression de liberté
qu`on peut avoir en entrant au CPRK est erronée. Tout
déplacement au sein même de la prison est surveillé,
négocié, voire monnayé auprès des autorités implantées
au sein de la prison par les autorités pénitentiaires.
Parmi les 3 300 détenus du CPRK, environ 160 hommes
sont condamnés à mort. Ils sont regroupés dans un pavillon
: le pavillon 2.
Organisation du CPRK :
le modèle militaire comme référence
Organisation spatiale de la prison :
localisation des condamnés à mort
Les condamnés à mort de Kinshasa sont regroupés dans
le pavillon 2 du CPRK. Seul un petit nombre de condamnés
à mort est logé ailleurs : il s`agit des personnes
condamnées à mort pour l`assassinat de Laurent-Désiré
Kabila. Ils sont une trentaine regroupés au pavillon 1.
Ce pavillon leur était réservé exclusivement mais suite
à un ouragan qui a endommagé certains bà¢timents, les
condamnés à mort du procès Kabila ont été regroupés
au 1er étage, et des détenus de droit commun occupent
le rez-de-chaussée. De plus, certains condamnés à mort
qui étaient des personnalités politiques importantes,
comme Charles Alamba, le procureur général de la Com,
accusé d`assassinat, sont détenus au pavillon 8, qui
regroupe d`anciennes autorités civiles ou militaires, qui
vivent leur détention dans des conditions privilégiées.
Les cellules du pavillon 2 sont réparties sur deux étages
: au premier étage se trouvent les prévenus .44, c`est-à -
dire ceux qui n`ont pas encore été jugés mais sont
accusés de crimes passibles de la peine capitale, et au
second étage sont regroupés les condamnés.
Il y a dans
ce pavillon, selon les chiffres fournis par les détenus eux mêmes
mais sur lesquels ils semblent hésiter, tout comme
l`administration pénitentiaire, environ 160 condamnés à
mort et 185 prévenus, dont certains attendent d`être jugés
depuis plusieurs années.
L`auto-surveillance des prisonniers :
l`ordre arbitraire du CPRK
L`organisation des détenus du CPRK est fascinante par
sa complexité et, d`un certain point de vue, son efficacité.
Mieux vaut marcher au pas au CPRK.
En effet, l`administration
pénitentiaire n`ayant pas les moyens d`embaucher
un nombre suffisant de gardiens, ce sont les détenus
eux-mêmes qui assurent l`ordre et la sécurité. Et s`il est
vrai que la société kinoise et congolaise dans son ensemble
invente de nouvelles formes d`organisation sociale
pour pallier la faillite de l`État-nation45, notamment en
prenant en charge certains services publics habituellement
assurés par l`État, l`organisation du CPRK ne relève
pas de cette logique.
Cette organisation ne relève pas
de l`initiative des prisonniers : les détenus disposant de
responsabilités au sein de la prison sont désignés par les
autorités pénitentiaires, ce système est initié et contrà´lé
par les autorités de l`État. C`est une stratégie étatique pour
pallier le manque de moyens, d`autant plus que la prison
de Kinshasa est essentiellement peuplée d`anciens
agents de l`État, de militaires qu`il n`est donc même pas
besoin de former.
La hiérarchie au sein du CPRK est calquée sur la hiérarchie
militaire, dans la mesure où la majorité des détenus
sont d`anciens militaires : au niveau de la prison, il existe
un `` état-major général » qui donne ses directives concernant
la sécurité au sein de la prison. L`autorité la plus
haute, parmi les détenus, est le Capitan général, qui sert
de relais entre les autorités pénitentiaires officielles et les
détenus. Il existe aussi, au niveau de la prison un `` comité
d`encadrement ».
Cette hiérarchie se prolonge dans chaque
pavillon. Ainsi dans le pavillon 2 il existe un gouverneur-
assistant chargé de l`administration, un inspecteur
titulaire, un inspecteur adjudant, un commandant de
police militaire, un comité local de sécurité, et 30 PM (pour
`` Police militaire », ce sont des détenus chargés de la sécurité
et ils circulent armés de bà¢tons).
Tous sont donc des
condamnés à mort ou prévenus passibles de la peine capitale.
La structure est la même dans chaque pavillon.
Le gouverneur du pavillon 8, ancien gouverneur du pavillon
2, condamné à mort, est surnommé `` Mobutu », surnom
qui en dit long sur ses états de fait en tant que
gouverneur, et qu`il explique par le fait qu`il est très à
cheval sur le règlement pénitentiaire. Il nous décrit le
fonctionnement du CPRK:
`` C`est nous qui nous surveillons nous-mêmes. Le garde
reste dehors et il a les clés, c`est tout. (…) Moi, en tant
que gouverneur, je dois faire un rapport sur le comportement
de chacun aux autorités pénitentiaires 46 »
Les autorités pénitentiaires, qui n`ont de toute façon pas
les moyens de payer des gardiens, disposent ainsi d`une
véritable `` milice de détenus » qui, en l`échange de quelques
privilèges47 (cellule personnelle, nourriture plus
abondante, droit de visites plus fréquents48…), assurent
la sécurité au sein de la prison, comme nous l`explique
l`Inspecteur général du CPRK, condamné à mort :
`` Moi je suis inspecteur général, le troisième prisonnier
dans toute la prison.
Ma tà¢che en tant qu`inspecteur c`est
d`encadrer les gens, c`est la sécurité, la propreté, le
contrà´le des visiteurs, pour interdire le désordre (…). J`ai
des privilèges en contrepartie : les autres ont un gobelet
de nourriture et moi j`en ai cinq ; j`ai accès à des zones
où les prisonniers ne peuvent pas aller, comme les cuisines,
le bureau de la direction où je peux aller sans
audience.
Je peux sortir du pavillon de 6h30 à 18h00,
je rentre le dernier après tout le monde.49 »
Il existe également un service antidrogue, un service antigang,
composés uniquement de détenus :
`` Il n`y a que deux activités qui sont organisées en prison:
le service antidrogue, chargé d`arrêter les vendeurs
et fumeurs de drogue, et le service antigang chargé de
punir les personnes qui se conduisent mal. Mais en réalité
ce sont des services qui sont chargés de maltraiter
et de tuer.50 »
Ce sont les autorités pénitentiaires qui choisissent les détenus
appelés à avoir une fonction d`autorité au sein de
la prison, et les nomment. Le gouverneur du pavillon 8,
ex-gouverneur du pavillon 2, nous explique pourquoi il
a été choisi :
`` J`ai été désigné gouverneur grà¢ce à mon comportement.
Je suis strict sur l`application du règlement pénitentiaire
et je respecte le personnel pénitentiaire. C`est suite à ma
soumission que les autorités m`ont fait confiance.51 »
Il est assez frappant de constater que, parmi les détenus
chargés de l`ordre et de la sécurité, au niveau de
la prison, notamment du comité d`encadrement, figurent
un grand nombre de condamnés à mort et de longues
peines.
Ainsi, au niveau de la prison, le capitan
général est condamné à perpétuité, le commandant général
est un condamné à mort, et l`inspecteur général est
aussi un condamné à mort. Cela s`explique d`une part
par leur longévité dans la prison, mais aussi sans doute
par la peur de la peine, plus forte que chez les autres
détenus, et donc par l`espoir que ce `` bon comportement
» entraîne un adoucissement de leur sentence,
comme l`explique le gouverneur du pavillon 2 :
`` Depuis la fin des exécutions, il y a eu un grand changement,
nous avons retrouvé la confiance par rapport à
notre réintégration dans la société et nous voulons montrer
que, malgré nos fautes ou nos prétendues fautes,
nous avons beaucoup changé et nous pouvons nous réintégrer
dans la société.
Nous le montrons par notre
dévouement. De plus, s`il y a des évasions, nous serons
les premiers abattus.52 »
Comme nous l`explique un autre condamné à mort :
`` Nous avons changé. Dans la prison ici, ce sont les
condamnés à mort qui sont les plus disciplinés et les plus
sociables.53 »
Ainsi, lorsque le directeur de la prison a été agressé et
pris en otage par des prisonniers en décembre 2004, ce
sont les condamnés à mort du pavillon 2 qui l`ont
défendu.
De même, lorsqu`il s`est fait agresser au pavillon
2, Charles Alamba54 nous a expliqué avoir été protégé
par les condamnés à mort, ce qui est paradoxal étant
donné que, en tant qu`ancien procureur général de la
Com, il est responsable d`une grande partie des condamnations
à mort des détenus du CPRK, et déchaîne une
haine très forte contre lui :
`` Quand je suis entré ici en prison pour la première fois,
tout le monde criait, “il faut le tuer!â€.
Un jour des gens se
sont rués sur moi pour me rouer de coups, tout le monde
me frappait, je ne savais pas qui. Certaines personnes m`ont
protégé en faisant une haie autour de moi, ce sont les
condamnés à mort eux-mêmes qui sont venus me protéger,
j`ai été étonné.
Mais il y avait une dissension, certains
voulaient me protéger, d`autres voulaient me tuer.55 »
Charles Alamba, dont la vie était menacée au pavillon 2,
a cependant dà» être changé de pavillon.
Outre le fait d`assurer la surveillance et la sécurité de la
prison, ce sont aussi ces autorités composées de détenus
qui font le lien avec les autorités pénitentiaires, et
jouent parfois le rà´le du greffe en recensant les prisonniers,
les appels, en prévenant les prévenus de leur comparution.
Ce sont aussi les détenus qui s`occupent dans
une certaine mesure des questions de santé : chaque
pavillon dispose d`un adjudant-malade qui recense les
malades ou assure l`organisation en cas d`urgence de nuit.
Certains détenus travaillent au dispensaire.
Ces même prisonniers peuvent prendre la décision de
placer un détenu en cellule d`isolement, et font des rapports
aux autorités sur les détenus qui, selon leurs critères,
se conduisent mal.
Il est facile d`imaginer
l`arbitraire que ce système engendre, et que dénoncent
certains condamnés rencontrés :
`` Ceux qui veulent être bien vus par les agents de l`administration
pénitentiaire tabassent les condamnés à mort.56 »
`` Parfois on est enfermé dans la cellule, on a besoin d`aller
au soleil, et l`autorité que le directeur a implantée dans
la prison, parmi nous-même les prisonniers, nous empêche
de le faire. Quand on a une portion de pouvoir, on
fait ce qu`on veut.57 »
`` Mais en réalité ce sont des services [le service antigang
et le service antidrogue] qui sont chargés de maltraiter
et de tuer.58 »
En outre, cette hiérarchie au sein de la prison est double
: il y a donc d`abord les fonctions acquises au sein
de la prison, calquées sur l`organisation militaire, `` pour
maintenir la discipline », mais il y a aussi les grades qui
étaient ceux des hommes qui sont désormais des détenus,
à l`extérieur de la prison, et qui sont toujours respectés.
Comme nous l`explique le Colonel Eddy Kapend,
principal accusé du procès Laurent-Désiré Kabila :
`` Ici en prison il y a environ 2 800 militaires, tous sont
mes subalternes, je les ai formés et ils me doivent un
respect particulier. Mais d`un point de vue légal je ne
suis pas leur chef.59 »
Il y aurait selon lui un `` gouvernement légal et un gouvernement
parallèle ».
Toujours est-il que la prison de Kinshasa est un espace
de non-droit qui invente ses propres règles, un état d`exception
permanent, sans contrà´le extérieur, où l`administration
pénitentiaire est son propre législateur.
Conditions humanitaires du pavillon 2 :
`` la mort à petit feu »
Les conditions humanitaires dans lesquelles vivent les
condamnés à mort au CPRK sont catastrophiques : la
nourriture est insuffisante, les soins et les médicaments
inexistants, l`hygiène déplorable. Il semble que, du point
de vue de l`hygiène, de la santé et de l`alimentation, les
condamnés à mort soient à peu près soumis au même
régime que les autres détenus.
Notre enquête s`étant limitée
au quartier des condamnés à mort, il ne nous a pas
été possible de mener la comparaison. Mais tous les rapports
sur les prisons de RDC écrits par diverses ONG ou
institutions internationales, notamment par la Section
droits de l`homme de la Monuc ou de nombreuses ONG
congolaises, mettent en évidence une situation humanitaire
infernale pour l`ensemble des prisons et des détenus,
peu importe leurs peines.
Cependant, une grande
partie des condamnés à mort du CPRK que nous avons
interrogés nous ont expliqué qu`ils étaient les plus mal
traités. L`un d`entre eux nous a décrit le pavillon 2 comme
celui des `` laissés pour compte, ouvert en dernier, fermé
en premier, toujours le plus mal servi ».
Hygiène et nourriture dans le pavillon 2
Le repas, servi une fois par jour60, à 15 heures, est composé
de Vungure, c`est-à -dire un mélange de maïs et
de haricots. La portion, servie dans un gobelet, est insuffisante,
et il arrive qu`aucune nourriture ne soit servie
plusieurs jours à la suite.
Seuls les détenus qui ont de
la famille qui peut les aider échappent donc à la malnutrition
: en effet si les visites n`ont lieu que trois fois
par semaine, il est possible de déposer de la nourriture
tous les jours.
Cependant, de nombreux prisonniers ne
sont pas originaires de Kinshasa, notamment les longues
peines et les condamnés à mort, et n`ont donc aucun
proche qui puisse les aider dans la capitale. Certains se
débrouillent en vendant quelques produits qu`ils
obtiennent de l`extérieur ou en cultivant de petites parcelles
à l`intérieur de la prison et en vendant les légumes
qu`ils produisent ainsi. Mais encore faut-il pouvoir
payer les parcelles et les graines.
Certains prisonniers,
qui ne possèdent pas de terre, cultivent les parcelles pour
d`autres, ou réalisent de petits travaux pour des détenus
ayant plus de moyens, comme laver les assiettes ou
les habits, c`est `` la débrouille » :
`` Il faut noter qu`il y a des jours où nous n`avons rien à
manger et ça peut faire parfois une semaine. C`est vraiment
dur, il n`y a que les gens qui ont de la famille qui
résistent. En effet, avec l`argent qu`on leur donne, ils achètent
des “résistances de réchaud†qu`ils louent à ceux qui
n`en ont pas, juste pour préparer.

Sans Commentaires...
Le tarif est de 10 FC pour
une cuisine qui ne traîne pas, et 20 FC pour les haricots.61 »
Le CICR distribue parfois des couvertures ou de la nourriture,
ainsi que certaines associations religieuses. Les prévenus
militaires ont selon la loi congolaise, le droit de
bénéficier de leur solde tant qu`ils ne sont pas encore
condamnés par un jugement définitif, mais en pratique
un grand nombre d`entre eux ne reçoit rien. La situation
nous a été clairement résumée par un condamné à mort
du procès Kabila, `` au CPRK, l`État est démissionnaire62 ».
En terme de santé, tous les condamnés à mort que nous
avons interrogés déplorent le manque de médicaments. Au
pavillon 2, les tuberculeux, regroupés dans la cellule 12,
ne reçoivent de médicaments que grà¢ce à l`assistance des
associations religieuses.
En outre, il n`y a pas de moyens
de transport pour amener les malades à l`hà´pital, parfois
le directeur utilise sa jeep personnelle, mais dans la plupart
des cas les plus malades meurent en prison.
En ce qui concerne l`hygiène, les problèmes sont tout
aussi nombreux. à€ l`étage des prévenus, il y a une seule
toilette et une seule douche pour 185 personnes. Les
condamnés à mort donnent dix francs par jour pour avoir
du savon, mais tous ne peuvent pas payer. Les bassines
ont été données par la Croix-rouge.
Et si les habitants
du pavillon 2 ont réservés une cellule pour les tuberculeux,
ils partagent les mêmes sanitaires, et tous s`en plaignent
car la tuberculose est une maladie extrêmement
contagieuse.
Eddy Kapend, ancien chef d`état-major particulier de
Laurent-Désiré Kabila, condamné à mort lors du procès
pour l`assassinat de ce dernier, fait même une comparaison
entre cette situation humanitaire déplorable et la
peine de mort :
`` Je n`ai jamais redouté l`exécution, mais on ne devrait
pas nous emprisonner avec ceux qui sont malades, qui
ont la tuberculose, et nous empêcher d`avoir des soins.
Nous tuer à petit feu, ça c`est là¢che. Si c`est un poteau
et une balle, s`ils pensent que c`est légitime, OK, mais
cette méthode de là¢cheté, je la dénonce.63 »
Il parle même à ce sujet de `` torture psychologique », et
lorsqu`on lui demande des précisions, il nous explique :
`` Refuser de nous donner des soins c`est nous dire, “tu
es déjà condamné à mort, pourquoi veux-tu aller te faire
soigner, le médecin, les médicaments, c`est du gaspillage,
attends ta mortâ€. C`est comme ça que nous interprétons
toutes ces choses et c`est horrible.64 »
De même pour Mutindi Kitambaba, lui aussi condamné
à mort pour atteinte à la sà»reté de l`État lors du procès
des assassins de L.-D. Kabila, `` l`exécution de la peine
se fait à petit feu ». Ce sentiment, très présent chez les
condamnés à mort du procès Kabila, s`explique aussi par
le fait que l`un des 27 condamnés à mort du procès
Kabila, Nico Bavura est mort après plusieurs mois sans
soins, et a été acheminé à l`hà´pital alors qu`il était déjà
moribond.
L`inactivité et ses répercussions psychologiques
sur les condamnés à mort
Un autre problème que rencontrent les prisonniers est
celui de l`inactivité, qui leur laisse beaucoup de temps
pour vaquer à leurs pensées :
`` Je suis là dans ce lieu de rééducation où on ne rééduque
personne et je ne fais rien. Je ne fais rien parce qu`il
n`y a aucune activité pour occuper les prisonniers.65 »
Habituellement les grilles sont ouvertes vers 7 heures et
les condamnés doivent rentrer dans leurs cellules vers
15 heures, `` avant même la poule que Dieu a créée »
selon l`expression d`un détenu.
`` - Pouvez-vous nous relater une de vos journées ?
- On n`a pas grand-chose à faire. Quand on ouvre les
grilles on est dehors, et le soir on rentre au pavillon. (…)
Mais il y a des jours où les gardiens nous laissent dans
le pavillon sans nous ouvrir la grille.66 »
Selon l`article 64 du Régime pénitentiaire, le travail est
obligatoire pour les détenus des prisons et des camps
de détention, mais au CPRK, si on excepte les petits travaux
de maraîchage auxquels les prisonniers peuvent
s`adonner pour améliorer leur ordinaire ou les menus travaux
qu`ils réalisent pour d`autres, les prisonniers ne travaillent
pas.
Il existe juste un atelier-boulangerie géré par
le directeur. Les détenus peuvent aussi jouer au football
ou au volley. La possibilité d`affecter des prisonniers à
des travaux d`intérêt général est reconnue par le droit
congolais, mais pas utilisée67. Certains prisonniers sont
cependant forcés de participer à l`entretien de la prison :
`` Les nouveaux venus sont soumis à des travaux de propreté.
Ce baptême est fait pendant 45 jours.68 »
Et ce baptême semble même parfois s`apparenter à un
véritable racket des nouveaux venus au sein de la prison,
forcés de travailler sans rémunération ou contrepartie,
voire de payer :
`` - Devez-vous travailler ?
- Non, mais quand je suis arrivé en prison on m`a soumis
à certains travaux de balayage des couloirs et de nettoyage
des toilettes. C`est le baptême que tout nouveau
venu doit subir. En plus, il fallait payer 150 FC pour entrer
dans une cellule.69 »
Quelques ONG ou organismes de coopération bilatérale
organisent des ateliers, sur le SIDA ou les droits de
l`homme, mais cela reste rare. Et si tous les prisonniers
souffrent du manque d`activité, il est clair que l`ennui a
des répercussions psychologiques particulières sur les
condamnés à mort.
Ils ont le temps de penser à leur
peine, à l`exécution, de réfléchir à la situation politique
et aux circonstances que cela peut avoir sur leur sort :
`` Nous parlons de ça [des exécutions] car nous n`avons
pas d`activités, nous parlons de notre sort, surtout qu`à
une époque on nous a dit qu`on n`exécuterait plus les
gens puis on est revenu à ce système, donc nous n`avons
aucune assurance de ne pas être exécutés.70 »
L`isolement cellulaire, une souffrance systématiquement
imposée aux condamnés à mort
Les condamnés à mort sont systématiquement placés en
isolement cellulaire à leur arrivée au CPRK, car ils sont
considérés comme étant dangereux du fait de la condamnation
qui leur a été infligée.
Cet isolement cellulaire peut
durer plusieurs mois, voire une année, et les détenus en
isolement vivent dans des conditions très difficiles,
comme nous l`explique l`un des plus anciens condamnés
à mort du CPRK, jugé en 1998 :
`` Oui, j`y suis resté un an, dans une petite chambre, avec
un robinet et un WC, c`est tout. On n`ouvrait la porte que
pour nous donner à manger. On n`avait pas de matelas,
on était 14 personnes en isolement, dans 14 cellules différentes.
Pendant un an, je ne suis pas sorti du tout.71 »
Et selon Papy Baivenga Lendo :
`` J`ai fait deux mois en cellule. (…) La situation était critique,
on nous confisquait la nourriture qui se prépare
ici, le “vungureâ€, qu`on gardait pendant deux jours et
qu`on nous donnait quand il était moisi.72 »
Selon Kakebo Biazo Dadi, originaire de la province de
l`Équateur, il arrive qu`il y ait des décès en cellule :
`` Je suis resté en cellule trois mois fermes, je mangeais
en cellule parfois deux fois par semaine, et d`autres qui
étaient avec moi sont morts en cellule.73 »
Les condamnés à mort du procès Kabila sont restés longtemps
en isolement cellulaire, dans des conditions particulièrement
difficiles :
`` Nous avons été enfermés pendant un an minimum en
cellule, avec la cagoule et les menottes. Nous n`avions
pas le droit d`aller aux toilettes sauf si c`était urgent, on
enlevait la cagoule seulement pendant les repas. (…)
Quand nous étions isolés en cellule, on n`avait le droit
qu`à des visites à distance.
On nous enlevait la cagoule
et les familles étaient de l`autre cà´té du mur. Puis, nous
avons pu avoir des visites dans une salle, il fallait parler
dans une langue que les militaires comprennent. Pour
avoir le droit à des visites normales, nous avons contacté
la ministre des droits de l`homme, et beaucoup d`internationaux
sont venus nous voir.74 »
`` - àŠtes-vous resté en cellule suite à votre condamnation ?
- Oui, pendant neuf mois. Les conditions étaient très
mauvaises. On faisait la toilette sur place, on mangeait
rarement et en petite quantité. On ne pouvait pas voir
le soleil.75 »
Suite à une période d`isolement plus ou moins longue, les
condamnés à mort peuvent recevoir des visites comme les
autres détenus, trois fois par semaine, les mercredi, vendredi
et dimanche.
Cependant, la plupart du temps les visiteurs
doivent donner de l`argent aux militaires de la garde
présidentielle stationnés à l`entrée, ce qui décourage les visites.
Les condamnés à mort du procès Kabila dénoncent par
ailleurs des actes d`intimidation contre leurs familles:
`` Les visiteurs doivent d`abord passer par le bureau 2, le
service des renseignements, ils doivent donner leur
adresse, les visiteurs ont peur de venir. Les militaires qui
ont les adresses vont les visiter chez eux, il y a extorsion,
règlement de compte.
Certains pensent que nous
méritons la mort et que ceux qui sympathisent avec nous
méritent le même chà¢timent. 76 »
`` - Qu`est-ce qui est le plus pénible à supporter en prison?
- Les tracasseries que subit ma femme de la part des autorités
de la prison, qui arrachent même mes repas. Les
menaces et arrestations que subit ma famille et surtout
ma femme, qui est traumatisée.77 »
Les violences : `` la guerre des gangs »
au sein de la prison
Le niveau de violence du CPRK est élevé, que ce soit la
violence symbolique créée par l`ordre arbitraire de la prison,
ou les violences physiques, des passages à tabac
ou même des affrontements entre pavillons. Il semble
d`abord que certaines autorités au sein des détenus abusent
du pouvoir qui leur a été confié par l`administration
pénitentiaire :
`` Nous sommes gardés par les codétenus, et parfois ils
menacent d`autres personnes et sont par moment brutaux.
C`est la prison, de tels comportements ne peuvent
pas manquer.78 »
Un condamné à mort de 28 ans, originaire du Kasaï occidental,
parle quant à lui de torture :
`` - Est-il arrivé que des condamnés à mort soient victimes
de violences de la part des gardiens ?
- Oui, souvent c`est quand un prisonnier qui est chargé
par les gardiens de vendre certains biens de première
nécessité utilise l`argent.
Et là , il est sérieusement torturé.
- Avez-vous déjà vous-même subi des violences ?
- Oui, c`était le 4 aoà»t 2003, on m`a mis dans un cachot
et à l`intérieur j`ai été sérieusement torturé, jusqu`à tordre
le cou. J`ai eu la vie sauve suite au rapport que notre
gouverneur a fait rapidement à notre État-major. Sinon
le pire allait arriver.79 »
Dans nos entretiens, il est surtout frappant de constater
que la plupart des condamnés mettent en avant le fait
que les violences au sein de la prison sont organisées
par les différentes autorités pénitentiaires, qui donnent
des directives aux détenus sous leurs ordres :
`` - Certains détenus subissent-ils des violences de la part
des gardiens ?
- Parfois. En cas de mauvaise conduite ou lorsqu`on vous
surprend avec du chanvre, alors on peut vous battre. Mais
ils ne le font pas personnellement.
Ils donnent l`ordre à
d`autres prisonniers de le faire.80 »
Il semble y avoir aussi régulièrement des bagarres entre
pavillons, une sorte de `` guerre des gangs » au sein de la
prison, ou une `` guerre des pavillons », que de nombreux
condamnés à mort que nous avons interrogés dénoncent
comme étant organisées par les autorités pénitentiaires :
`` Pas plus tard qu`hier, entre 15h00 et 16h00, un prisonnier
de notre pavillon, le pavillon 2, a été sérieusement
tabassé par les prisonniers du pavillon 11 et ce suite au
conflit créé et entretenu par les autorités de la prison.81 »
Ce sont surtout les condamnés à mort du procès Kabila,
qui dénoncent des agressions à leur encontre, encouragées
par les autorités carcérales :
`` Parfois, on décide de nous causer du tort, parfois, la
milice du directeur de la prison décide de nous faire
tabasser et les scènes se répètent. Cette milice est composée
de prisonniers recrutés, et est parfois renforcée
par les occupants du pavillon 2, les condamnés à mort.
Ils viennent pour piller et tabasser.82 »
Aucune torture systématique n`est cependant dénoncée
par les détenus. De toute façon, de tels actes sont rarement
pratiqués en cellule, mais plutà´t dans les cachots
des services de renseignements comme ceux de la
Demiap83 ou de l`ANR84, qui échappent totalement au
contrà´le de l`autorité judiciaire85.
Dans l`ensemble, la plupart des personnes que nous
avons interrogées ne semblent pas souffrir de violences
physiques fréquentes de la part des autres détenus ou
des autorités carcérales, mais il est probable que certains
ont peur de parler. Cependant, les condamnés à mort
dénoncent plutà´t des actes arbitraires comme l`isolement
forcé ou des insultes et agressions verbales, qui visent
spécifiquement les condamnés à mort :
`` - Un condamné à mort est minimisé, mal traité ici par
rapport aux autres détenus.
Nous avons beaucoup de
consignes malgré que nous circulons dans la prison.
- Avez-vous subi des violences de la part des gardiens ?
- Physiquement, non, mais moralement et psychologiquement,
oui. Nous sommes critiqués parce que nous
sommes condamnés à mort, notre morale est bafouée.86 »
`` Parfois les gardiens nous empêchent de sortir du pavillon.
Il y a des moments où ils ferment la grille à 14 heures
au lieu de 15 heures C`est une forme de violence.87 »
Un autre explique même que les condamnés à mort sont
rejetés par tous :
`` - Nous, les condamnés à mort, nous n`avons rien à dire
ici. Tout le monde nous rejette. Nous n`avons rien le droit
de réclamer ici. Tout ce qu`on nous fait, nous l`acceptons.
- Mais vous vous promenez, vous riez avec les autres
détenus. Il n`y a aucune distinction quand on vous
observe…
- Puisque vous ne restez pas ici, vous ne pouvez pas
connaître la vérité. Mais nous-mêmes nous la connaissons.
Même vous, avant que vous puissiez entrer ici, le
directeur vous a fait beaucoup de complications.
Il y a
un secret. Il y a même des hommes qui sont exécutés
à la place d`autres.88 »
Un autre condamné à la peine capitale nous a expliqué
que les autorités pénitentiaires créaient des difficultés
pour l`inscription des condamnés à mort sur les listes électorales,
disant que cela ne les concernait pas car ils
allaient mourir89.
Certains gardiens parlent aussi des exécutions
aux condamnés à morts, pour les intimider,
comme nous allons le voir dans le paragraphe suivant.
Conditions psychologiques : la peur
des exécutions et le `` phénomène retour »
Si les conditions de vie des condamnés à mort, d`un point
de vue humanitaire, ressemblent à celles des autres prisonniers
malgré quelques spécificités que nous avons présentées,
la peur de l`exécution donne bien évidemment
une dimension toute particulière à leur détention, que
les condamnés eux-mêmes décrivent en utilisant le terme
`` phénomène retour ».

Cette enquête est d'actualité car elle n'a pas pris une seule ride
La peur des exécutions, une torture
psychologique
La grande majorité des condamnés à mort ont déjà vécu
des exécutions, vu des codétenus être emmenés par les
militaires pour être exécutés. Ils connaissent donc la procédure
:
`` Ils viennent à l`improviste. Vous pouvez être en train
de jouer au football, lorsqu`ils arrivent on crie “fermeture
!†et tout le monde doit aller dans sa cellule. Ensuite
le gouverneur de pavillon passe mettre les crochets et
le couloir appelé “couloir de la mort†reste vide. C`est
alors qu`ils viennent dans le couloir et procèdent à l`appel
nominatif des condamnés qui doivent être exécutés.
Les portes des cellules concernées s`ouvrent l`une après
l`autre pour faire passage aux condamnés. Lorsque ces
derniers descendent les marches de l`escalier, ils ont déjà
l`habit noir sur la tête, les menottes au poignet.90 »
Ou bien encore :
`` J`ai vu ça une fois, c`était un vendredi à 19 heures, les
policiers sont venus et ont donné des listes aux gouverneurs
qui sont allés chercher les prisonniers. Ils ont été
pris par les policiers, les poignets attachés et les yeux
bandés. Ils étaient au nombre de 7, c`était à l`heure du
repas, on est parti les exécuter.91 »
Selon un autre :
`` On nous fait rentrer dans nos cellules, on ferme tout
et on vient ouvrir les pièces concernées. C`est la police :
ils viennent sans arme. Certains crient, on les force pour
sortir. Ils ne sont pas exécutés ici. Les militaires viennent
nous dire qu`ils sont morts.92 »
Les condamnés à mort dont le tour n`est pas encore venu
peuvent voir par la fenêtre leurs camarades être emmenés
par les militaires, parfois violemment :
`` Nous avons été surpris de la brutalité avec laquelle on
était venu prendre les gens pour les exécuter.93 »
Ce moment est bien sà»r très pénible pour tous les condamnés
à mort, qui ne savent pas qui va être exécuté, personne
n`est bien sà»r informé à l`avance des exécutions:
`` J`ai vu deux fois des exécutions. On vient, on ferme
toutes les cellules, on appelle. Tout le monde a peur, ça
peut être nous. C`est calme.94 »
L`angoisse des condamnés est moins forte aujourd`hui,
car les exécutions sont devenues plus rares :
`` Aujourd`hui, je suis en bonne santé mais avant, avec
les pensées, on ne savait pas quand on serait tué, on
vivait dans un monde de rêves, quand on exécutait ses
amis on n`avait plus le courage ni de manger ni de boire,
on passait son temps à se demander quel serait son jour.
Demain ou après-demain ?95 »
Cependant la peur de la mise à mort, beaucoup de détenus
nous l`ont expliqué, a été ravivée par les exécutions
de 2003 :
`` On parle des exécutions entre nous, (…) l`évolution
politique du pays nous fait peur. à‡a nous fait peur surtout
quand le président actuel arrive au pouvoir en nous
disant qu`il n`y aura plus d`exécutions, mais le 6 janvier
2003, il y a eu des exécutions et quand j`y pense ça me
stresse, j`ai peur.96 »
D`autres encore préfèrent éviter le sujet :
`` On en parle mais pas souvent car ce n`est pas facile
de penser à sa propre mort. Quand on en parle, ça nous
fait peur.97 »
Cette peur est en outre accentuée par des histoires qui
circulent au sujet des exécutions, ou par des allusions à
ce sujet faites par les gardiens, pour intimider et insulter
les détenus :
`` Ils nous traitent de `` cochons d`Alamba », c`est-à -dire
qu`on peut être exécuté à tout moment.98 »
`` Les gardiens nous considèrent comme des poules de
l`État congolais, qui peuvent être tuées à tout moment.99 »
`` Ils nous disent, vous êtes les animaux du président, le
jour où le chef va décider vous mourrez.100 »
Ce sont les condamnés eux-mêmes qui donnent le plus
d`informations sur les exécutions, d`autant plus qu`il existe
au CPRK plusieurs cas de jeunes hommes qui, installés
sur la potence et prêts à être fusillés, en ont été retirés
au dernier moment.
Guy Kabamba Pululu, 23 ans, est originaire du Bas-
Congo. Son père travaillait dans une usine de chaussures,
sa mère est ménagère. Guy a un enfant qui vit chez
ses parents. Il est entré dans les Fac101 à 17 ans.
Il a été
condamné à mort pour association de malfaiteurs et
meurtre, et nie toute participation aux faits dont il est
accusé. Il dit avoir été torturé : il porte encore les marques
des cordes avec lesquelles il a été ligoté car des
militaires ont tiré sur ces cordes et il a été blessé jusqu`au
sang. Il a été auditionné par la Com de Mwanda. Dans
son dossier où il était accusé avec quatre autres personnes,
un homme a été libéré, deux autres condamnés à
mort.
Quant à Guy, le juge a décidé que son cas restait
en suspens, faute de preuves. Il a été transféré à Kinshasa,
enfermé dans le quartier des condamnés à mort en tant
que prévenu le 10 mars 2000, il avait 18 ans.
Le 21 septembre, des militaires sont venus le chercher,
lui ont bandé les yeux, l`ont mis dans un véhicule et
conduit au camp Tshatshi102, à trois heures du matin, avec
9 autres personnes.
Tous comprennent tout de suite qu`ils
vont être exécutés, ils connaissent la procédure. Une fois
arrivé au camp, Guy et les autres sont attachés à un
poteau, les yeux toujours bandés :
`` On est attaché à un poteau, ligoté tout autour de notre
corps, des pieds jusqu`à la tête pour qu`on ne puisse pas
bouger. On donne de l`alcool aux exécuteurs jusqu`à ce
qu`ils soient saouls et le procureur leur donne l`ordre de
tuer. J`avais les yeux bandés. (…) Je ne communiquais
pas avec les autres. Tous pleuraient. Moi je priais et je
disais que j`étais innocent. On essayait de parler aux militaires,
on parlait dans le vide mais on savait qu`ils écoutaient.
103 »
Une discussion entre le président de la Com, à l`époque
le colonel Mokutu, et le procureur général, Alamba, s`engage
alors au sujet du cas de Guy Kabamba. Le colonel
Mokutu demande qu`il ne soit pas exécuté, que son nom
soit retiré de la liste, car il n`a pas été condamné à mort.
à€ 11 heures, Guy est détaché et renvoyé au CPRK. Les
neuf autres sont exécutés, après être restés attachés au
poteau, les yeux bandés et dans l`attente d`être fusillés de
3 heures du matin à 11 heures, soit près de huit heures.
Depuis cet événement Guy a des difficultés à dormir :
`` Je pense souvent à l`exécution, je ne peux pas dormir
quand je pense à ça, je suis traumatisé.104 »
Il dénonce la situation de non droit dans laquelle il se
trouve :
`` Depuis que je suis ici mon nom ne figure sur aucune
liste, plus personne ne s`intéresse à mon cas. Je n`ai jamais
reçu de condamnation à mort, je ne suis pas un
condamné à mort, je suis un prévenu sans dossier. »
Guy a adressé une lettre à la ministre des Droits humains
en expliquant son cas, en protestant du fait qu`il n`avait
pas de dossier, qu`il était en détention provisoire depuis
5 ans. La ministre a envoyé des personnes à la direction
de la prison pour vérifier les dires de Guy, et celles-ci
ont vu qu`effectivement Guy n`avait aucun dossier.
La
ministre a alors écrit au ministre de la Défense nationale,
de la démobilisation et des Anciens combattants, en
adressant une copie à l`auditeur général. Ce dernier a
répondu en reconnaissant que Guy avait été retiré du
peloton d`exécution par le colonel Mokutu, mais qu`il
avait été condamné par un arrêt définitif de la Com et
qu`il n`avait plus désormais que la possibilité d`introduire
un recours auprès du chef de l`État. Guy n`a pourtant
aucune connaissance de ce jugement.
Il n`est pas le seul à avoir échappé de peu à une exécution.
C`est aussi le cas de Bomolo Likaa, 30 ans, marié
et père d`un enfant, originaire de la province congolaise
de l`Équateur, condamné à mort pour homicide volontaire,
détenu au CPRK depuis 1999 :
`` - Pour vous, les condamnés à mort, qu`est-ce qui est
le plus pénible à supporter, ici, dans la prison ?
- C`est quand on vient prendre les prisonniers afin d`aller
les exécuter. Depuis que je suis ici, on en a pris cinq
avec qui je vivais. Moi aussi, on m`a déjà pris une fois,
on m`a mis les menottes pour aller m`exécuter.
On a tué
les personnes avec lesquelles j`étais depuis Mbandaka.
Arrivé à mon tour, on m`a mis un habit sur le visage mais
le général est intervenu en disant de me laisser car j`étais
encore très jeune. En effet, j`ai été condamné à l`à¢ge de
25 ans. C`est comme ça qu`on m`a enlevé les menottes
et l`habit noir sur la tête.105 »
On peut imaginer l`angoisse que suscitent de tels exemples,
de telles histoires qui circulent dans la prison et
qui montrent à quel point les exécutions en RDC sont
une loterie, qui peut toucher n`importe qui, même des
individus qui n`ont jamais été condamnés à mort.
Le déroulement des exécutions décrit par Guy Kabamba
recoupe la description faite par Mbaya Makengo,
condamné à mort pour association de malfaiteurs et vol
à main armée, originaire de Bandundu, qui lui aussi parle
de la présence d`Alamba et du fait que les membres du
peloton d`exécution se droguaient :
`` Pour mon cas par exemple, quand on avait failli nous
exécuter, on nous avait bandé les yeux, lié les mains et
les pieds. Pendant ce temps les membres du peloton
d`exécution se droguaient.
Il y avait, sur place, le peloton
d`exécution, le Colonel Alamba et un aumà´nier chré-
tien auquel on devait confesser les pêchés avant d`être
exécuté.106 »
Mandiata Katende a quant à lui vu son frère être emmené
par les militaires pour être exécuté lors de exécutions
de 2003. Ce dernier avait déjà échappé une première fois
à l`exécution avec un groupe d`autres personnes, en 2002,
et avait tout raconté à son frère :
`` On venait de nommer le juge Nawel comme juge président
de la Com, Alamba n`était plus seul.
On les a amenés
là -bas pour les tuer et le juge président a refusé en
disant qu`il venait d`arriver et qu`il ne connaissait pas les
dossiers. Pendant 5 jours ils sont restés dans un petit bà¢timent
derrière la Com. (…) à€ leur retour on a causé et
il m`a raconté : dans le petit bà¢timent ils étaient cagoulés,
on leur a donné un carton de whisky et on les a
forcés à boire.
Mon frère a vu l`équipe qui devait les exécuter
et il a reconnu deux personnes, un lieutenant qui
était chef d`exécution du Colonel Alamba, et un autre
qui est venu avec le whisky et leur a dit, `` buvez, c`est
votre dernier jour ». Les gens qui devaient les exécuter
avaient même des bêches pour creuser leurs tombes.107 »
Son frère, Mandiata Sanswana, qui était accusé d`avoir
participé à un attentat commis contre le directeur de la
Banque centrale, pour lequel il niait toute responsabilité,
et qui a été condamné après un procès inéquitable,
n`a pas échappé une seconde fois à la peine capitale :
`` Le 6 janvier 2003 à 17h35 on a vu les gens venir les
chercher. Toutes les chambres ont été fermées, je mangeais
avec mon frère, nous étions dans la même chambre
en train de manger.
Quand j`ai entendu le nom, j`ai
compris que c`était pour l`exécution, je le lui ai même
dit. Ils en ont pris 15. Mon frère était juste en culotte et
en débardeur, il est parti menotté. On les a abattus à
Mikonga. D`après mes informations, on a creusé un grand
trou où on les a mis. Les gens du quartier ont entendu
les coups de balles, le chef de quartier l`a même dit sur
radio Okapi108. Ils ont creusé un grand trou, jeté les gens
vivants, et tiré sur eux.
Après le groupe du colonel
Alamba et du gouvernement est venus ici pour nous dire
qu`il fallait dire qu`il n`y avait pas eu d`exécutions, si on
nous demandait. L`administration de la prison nous a dit
que, sur ordre d`Alamba, de ne pas dire aux ONG qu`il
y avait eu des exécutions.109 »
Enfin, Moseka Moimbo Kibwe a vécu une situation un
peu similaire à celle du frère de Mandiata Katende, mais
lui est toujours en vie :
`` Moi-même j`ai échappé à l`exécution. J`ai été condamné
le 2 février 2001 et 48 heures après on devait m`exécuter
avec 8 autres codétenus. On est resté 12 jours au parquet
près de la Com, pieds et bras liés au dos. C`était
terrible. Nous avons eu la vie sauve grà¢ce à une fuite
d`information.
En effet, quand les ONG des droits de
l`homme et la Croix-rouge ont appris qu`on devait nous
exécuter, ils ont fait du bruit jusqu`à intervenir dans la
chaîne de radio. C`est ce qui nous a sauvés.110 »
Ces exemples témoignent clairement de l`arbitraire des
exécutions, et des conditions inhumaines dans lesquelles
elles se déroulent. On ne peut qu`imaginer la peur
indescriptible des condamnés à mort congolais face à de
telles histoires…
Le `` phénomène retour »
Pour décrire les troubles psychologiques dont ils sont
victimes, et leurs conséquences psychosomatiques, les
condamnés à mort utilisent un terme particulier, celui du
`` phénomène retour », qu`ils ne définissent cependant pas
tous de la même façon.
`` Le retour, dans mon cas, c`est quand je pense que je
suis innocent, que je n`ai aucune nouvelle de mon épouse
ni de mon enfant, qu`on a pillé tous mes biens, que j`ai
perdu ma famille là -bas au village à cause de la rébellion,
alors il y a un fort retour. (…) Pour moi le phénomène
de retour c`est quand la personne pense à sa vie
avant la condamnation et à comment il est arrivé à cette
situation.111 »
Beaucoup évoquent le fait de penser à leur famille
comme cause du `` phénomène retour » :
`` Pour moi je dirais que depuis que je suis condamné,
je n`ai eu aucune visite, même de ma femme qui s`est
remariée. Quand j`y pense c`est la débandade et ça me
fait comme un retour. Je peux blaguer, causer mais quand
je me retrouve seul je ne peux m`empêcher d`y penser.112 »
`` Le phénomène retour, c`est quand on se met à penser
à sa vie avant la condamnation, à sa femme et à ses
enfants. à‡a fait un retour et la personne peut faire une
crise de nerfs ou même mourir.113 »
`` J`ai deux enfants orphelins car leur maman est décédée
et leur papa est en prison. Moi qui suis leur papa,
je souffre quand je pense que mes enfants souffrent aussi
à l`extérieur, ça me fait mal.114 »
Certains condamnés intègrent la peur des exécutions dans
leur définition du phénomène retour :
`` Nous parlons des exécutions entre nous. J‘y pense souvent,
c`est difficile à oublier. Nous parlons du `` phénomène
retour ».
Tous les condamnés à mort connaissent
cela. Avec le manque de sommeil, le manque de tranquillité,
parfois nous pleurons. (…) Le pire à supporter,
c`est la charge de la peine, elle est très lourde. Elle fait
pleurer les membres de ma famille. Quand la peine a
été prononcée, ma femme est tombée.115 »
Lorsqu`on leur demande s`ils ont peur, un jour, d`être exécutés,
la plupart s`en remettent à la volonté de Dieu.
Certains évoquent aussi leur espoir que la transition politique
ne mette un terme définitif aux exécutions. Ainsi
Bomolo Likaa, qui a pourtant échappé de peu à une exécution,
nous explique :
`` Je n`y pense plus souvent [aux exécutions] car depuis
l`arrivée de Jean-Pierre Bemba avec la transition en 2003,
les exécutions ne se font plus tellement car le colonel
Alamba qui était chargé de ces exécutions, est condamné
aussi.
Alors, il n`y a pour le moment plus d`exécution.
C`est ce qui fait que nous avons un peu de tranquillité.116 »
Néanmoins, beaucoup de condamnés expliquent que les
exécutions de 2003 ont ravivé leur peur d`être un jour
exécutés. Par ailleurs, de nombreux condamnés à mort
nous ont expliqué avoir des idées suicidaires, des cauchemars,
des insomnies, des phénomènes de sursaut, dus
à des réminiscences d`événements traumatiques passés,
notamment le procès, la condamnation à mort, la guerre
ou les mauvais traitements que beaucoup ont subis, ainsi
qu`à la peur de l`exécution. Certains se réfugient dans la
consommation d`alcool ou de drogue, beaucoup choisissent
pour réconfort la religion, essentiellement la religion
catholique ou les églises évangéliques, les musulmans restent
minoritaires.
Les conditions humanitaires dans lesquelles vivent les
condamnés à mort du CPRK sont donc déplorables, et
leur situation est largement aggravée par la souffrance
psychologique que représente la peur des exécutions.
Et pourtant, il semble que cette situation se soit largement
améliorée ces dernières années : d`une part, bien
sà»r, les exécutions sont beaucoup moins nombreuses,
mais en outre la situation humanitaire semble aussi s`être
améliorée, comme nous l`explique Katende Mandiata, inspecteur
général de la prison et détenu parmi les condamnés
à mort du CPRK depuis le 26 décembre 1999 :
`` Avant 2000, les peines capitales étaient regroupées au
pavillon 6, en cellule, ils ne voyaient pas le soleil, on n`avait
pas le droit de sortir, pas de promenade, on mangeait dans
la cellule. On est sorti dehors quand Garreton117 est venu
en 2000, au début on avait le droit à deux sorties par
semaine, le jeudi et le samedi pendant trente minutes, et
on était bien encadré par les gardes. Maintenant, on peut
sortir tout le temps, depuis 2001. à‡a a changé grà¢ce aux
droits de l`homme, grà¢ce à la Croix-rouge ».